1757. Blessé à la bataille de Rossbach, le chevalier de Villevert est contraint de trouver refuge sur place, tandis que l’armée française bat retraite. Lorsqu’il finit par se nouer d’amitié avec le comte Ederlyi, celui-ci l’invite à résider en son château de Saint-Miklos. Là, l’aristocrate fait la connaissance de la maîtresse de maison et d’Élisabeth de Hunfalvy, une jeune femme que la comtesse a prise sous son aile depuis le décès de son père. L’attirance d’un noble des environs, le baron Cornélius de Windau, va progressivement faire basculer la situation.
Jean Mistler (1897-1988) est un homme politique et auteur français, secrétaire de l’Académie française (il succède à Maurice Genevoix) de 1973 à 1985. Prolifique, l’œuvre de l’écrivain s’étale de 1925 à 1984, et compte à la fois des romans, des recueils de nouvelles ainsi que des essais. Parmi sa production, on peut ainsi noter La Maison du Dr Clifton (1932), plusieurs ouvrages sur Hoffman (La vie d’Hoffmann, Hoffmann le fantastique) et un essai consacré à Gaspard Hauser. Le Vampire est une nouvelle (le texte fait une cinquantaine de pages) publiée en 1929 dans la Revue de Genève. En 1944, il sort en volume, dans une édition imprimée à un peu plus de cinq cents exemplaires, aux Éditions du Rocher. Le récit est illustré de lettrines et de gravures signées par Albert Decaris.
Publiée en premier lieu en 1929, il y a fort à parier que l’histoire imaginée par Jean Mistler puise son inspiration dans des texte antérieurs au Dracula de Bram Stoker. « Le Vampire » convoque en effet le Magia Posthuma, texte composé par Charles Ferdinand de Schertz, mentionné par Dom Augustin Calmet dans sa Dissertation (qui apparaît dans l’introduction du Vampyre de John Polidori), et également cité dans le Carmilla de Sheridan le Fanu.
Mistler choisit d’écrire « à la manière de » : son style est imprégné d’une plume très XVIIIe siècle, le récit se déroulant en 1757. On flirte dans le même temps avec le gothique, avec le personnage d’Élisabeth, jeune ingénue victime du désir du baron Cornélius de Windau. L’auteur joue dans le même temps sur l’effet de réalité de son histoire, en présentant celle-ci comme extraite d’un ensemble plus large : les mémoires du personnage principal. Si le surnaturel s’invite rapidement dans la trame, c’est au travers de la bouche de ce dernier, qui relate des anecdotes fantastiques à son auditoire. Un clin d’œil à l’épisode Diodati, et à la genèse du Vampyre ?
Pour autant, après la mort de Windau et l’aveu de Villevert quant aux sentiments qu’il éprouve pour Élisabeth, l’histoire va embrasser sa teneur fantastique. Windau, revenu d’entre les morts, paraît vouloir conclure ce qu’il n’a pas pu concrétiser de son vivant : faire sienne la jeune femme. Là, on flirte davantage avec Dracula, dans l’idée d’une opposition entre ceux qui se refusent à valider la possibilité du vampire, les modernes comme Villevert, et les locaux, plus enclins à croire en l’existence des buveurs de sang.
Le texte convoque plusieurs aspects du folklore vampirique. Il est ainsi suggéré que le baron se soit suicidé, et que ce soit ce décès qui soit à l’origine de sa renaissance en tant que vampire. Le personnage est également décrit comme un alchimiste. Créature de la nuit insaisissable, il s’attaque après sa mort à Élisabeth, qui l’a éconduit de son vivant. L’antagonisme entre Villevert et le baron aboutira à l’exhumation du cercueil de ce dernier, en présence autant des officiels administratifs que religieux. C’est l’occasion d’une scène de mise à mort du vampire qui rappelle celle de textes tels le rapport Flückinger. On retrouve ainsi l’idée que le vampire doit être tué d’un pieu enfoncé en plein cœur, avant que son corps ne soit brûlé, et les cendres dispersées aux quatre vents.
Mistler offre ici une nouvelle remarquable par la façon dont elle utilise le folklore classique du vampire, tout en se positionnant dans la continuité des premiers textes longs en prose sur le sujet. Son récit propose ainsi plusieurs scènes notables qui s’imposent comme un chaînon manquant écrit a posteriori entre le texte de Polidori et celui de Stoker. Publié à très petit tirage, le livre mériterait d’être réédité, tant la plume de l’auteur et les illustrations qui le parsèment en font un très bel objet pour amateur de fantastique.