Buffy contre les vampires est un jalon dans les séries télévisuelles contemporaines. Les études autour de l’univers imaginé par Joss Whedon ne manquent pas (principalement en anglais), pour explorer l’impact des sept saisons (sans compter les cinq saisons du spin-off Angel). Le renversement des codes est au cœur de la série, et ce dès l’ouverture de son pilote, avec l’image de cette jeune fille blonde qui se révèle être un vampire et attaque l’adolescent roublard et excité qui l’accompagne. La saga dans son ensemble opère un basculement : le pouvoir de lutter contre les créatures de cauchemar échoit à une femme. La présentation du livre de Marion Olité met d’emblée en avant ces aspects incontournables, mais s’engage également à explorer comment Buffy « revalorise les bienfaits du collectif dans une société individualiste ». À noter que l’autrice n’est pas une débutante dans l’analyse du support télévisuel. Journaliste pour Tétu, Madmoizelle et Elle, tout en ayant été rédactrice en chef de Konbini Biinge.
Buffy ou la révolte à coups de pieu vient donc s’ajouter au corpus déjà fourni des Buffy Studies. La liste des livres concernés est extrêmement dense dans le domaine anglophone, il suffit de regarder la page Wikipédia qui y est consacrée pour le vérifier. Pour ce qui est des ouvrages écrits en langue française (une partie des ouvrages anglais ont été traduits), même si la série suscite un intérêt certain, le nombre d’études est plus restreint (la liste de Wikipédia en la matière est ceci dit incomplète, il y manque — notamment — le hors-série de La Septième Obsession). On ne peut donc que saluer un nouveau travail sur le sujet. À titre personnel, Buffy pèse lourdement dans mon appétence pour la figure du vampire. La série en soi, et la manière dont elle parle de l’adolescence m’ont fortement touché, lors de sa première diffusion française.
La volonté exprimée par la quatrième de couverture se matérialise au niveau du sommaire. En effet, l’analyse de Marion Olité est divisée en deux parties de tailles similaires. La première se focalise sur la dynamique du renversement dans Buffy, depuis ceux des codes des genres (dans tous les sens du terme), jusqu’à la façon dont la série met en scène la lutte contre la domination, quelle qu’elle soit. La seconde partie quant à elle montre la place majeure que revêt le groupe dans la série, notamment le partage du pouvoir au sein de celui-ci. De fait, si Buffy est la figure de proue, elle est différente de celles qui l’ont précédé justement parce qu’elle n’est pas seule face à ses opposants. Elle est le maillon d’un petit groupe soudé (dont la géométrie peut varier), dont chaque constituante est importante.
L’autrice consacre un court chapitre à la figure du vampire dans la série, mais ses réflexions sur la place des créatures de la nuit se diffusent à plusieurs moments du texte. Elle montre que la question de l’âme des vampires est centrale, cristallisée par Angel et Spike. Angel est ainsi à considérer comme un personnage emblème de la dichotomie de l’esprit humain, avec ses parts sombres et lumineuses cohabitent en un même être. Pour Marion Olité, les vampires du show incarnent bien évidemment les angoisses et pulsions humaines — la monstruosité en chacun de nous — mais donnent vie à une métaphore du patriarcat et du conservatisme. La thématique du renversement des codes se retrouve également chez les vampires de Buffy. L’autrice mentionne le cas du male gaze, ce regard masculin qui sexualise la femme à travers la culture. Le fait qu’Angel et Spike soit bien davantage torse nu ou dévêtu que les héroïnes met à minima en place l’idée d’un female gaze.
Le livre ne prend pas de pincettes avec Joss Whedon, tête pensante derrière Buffy et longtemps considéré comme une figure féministe indéboulonnable. Depuis les révélations de son épouse et du casting de la série (notamment l’actrice Charisma Carpenter), son statut a passablement été écorné. Marion Olité démontre que cette situation n’est pas un mal pour la série, car cela lui permet de se distancier de cette figure tutélaire et de s’intéresser aux autres créateurs impliqués. Tou les scénaristes, réalisateurs et réalisatrices, etc. qui se sont adossés à Whedon et ont contribué à forger la série, et son impact. Le personnage, son univers et son signifié ont donc tout loisir d’échapper au poids de leur créateur initial.
Au final, un essai certes court (153 pages), mais qui ne se borne pas à ressasser des analyses déjà lues ailleurs, mais sait s’en détacher ponctuellement pour proposer des idées plus rares. Comme toujours avec les études sur cette licence, je regretterais juste que le corpus se limite exclusivement aux épisodes TV, et laisse de côté tout le reste du Buffyverse : romans, comics, jeux vidéos, jeu de rôle, etc. Le matériau télévisuel (et cinéma) est à l’origine de tout, mais l’importance du mix média est majeure dans Buffy. Ceci dit mis à part, je suis content de lire enfin une étude sur le sujet qui s’intéresse aux multiples facettes du vampire dans Buffy, pour en sortir autre chose que la cristallisation des pulsions adolescentes. Le sous-texte young adulte de Buffy est certes incontournable (après tout, c’est sans doute ce qui a accroché une partie des téléspectateurs de l’époque), mais les idées sous-tendues vont bien au-delà de cela.