James Norbury est un jeune homme effacé, qui vient de terminer ses études à Oxford. Héritier du domaine familial, il prend pour autant la décision de ne pas retourner dans son Yorkshire natal, et de s’établir à Londres. De fil en aiguille, il croise la route de Christopher Paige, un dandy dont il a fait la connaissance durant ses études. Tous deux décident contre toute attente de partager une location. Si leurs personnalités semblent difficilement compatibles, James et Christopher finissent par débuter une relation amoureuse. Un soir, alors qu’ils préparent un voyage en Europe, ils disparaissent sans laisser de traces. Charlotte, la sœur de James, quitte à son tour la maison familiale afin de partir à la recherche de son jeune frère.
Le Club Ageolius (The Quick en VO) est le premier livre publié par Lauren Owen, sorti en 2014 dans sa version originale (et 2021 pour sa traduction en français). Titulaire d’un PhD en littérature anglaise, l’autrice s’est spécialisée dans la figure du vampire, et dans le genre gothique. C’est d’ailleurs le sujet de sa thèse de fin d’études, qu’il est possible de consulter en ligne. Le roman vient rejoindre la liste des fictions qui s’amuse avec la naissance du vampire en tant qu’objet de prose, entre Carmilla et Dracula. Il y a là autant un hommage à la littérature anglaise du XIXe siècle (l’ombre d’Oscar Wilde plane sur le premier tiers du récit), et dans le même temps un jeu autour de la caractérisation du vampire.
Ces différents aspects du livre se retrouvent dans ce qu’on peut considérer comme les trois mouvements du récit, depuis l’histoire de James, les notes de Mould – qui finissent par ébaucher une trame – et les aventures vécues par Charlotte. L’attaque de James et Christopher, qui clôt la première partie, amorce une bascule dans la part surnaturelle du roman. Si Mould, dont les entrées de journal prennent la suite, est humain, ses expériences et recherches sur les vampires se révéleront être le déclencheur d’un séisme dans l’existence des vampires de Londres.
L’autrice donne vie à un Londres du XIXe siècle particulièrement crédible, s’attachant à montrer la pauvreté qui gangrène la ville (et qui touche même les vampires, les Alias représentant la faction issue des classes les plus défavorisées). Les vampires du Club Aegolius personnifient le dandysme fin de siècle, sûr de lui, et en même temps d’une vanité sans égale.
Si les notes froides et sans sentimentalisme de Mould appuient le côté glaçant des créatures – qui ne parviennent jamais à se réchauffer – cette partie du livre – correspondant au deuxième tiers – comporte des longueurs et manque de dynamisme. Ce qui est déjà le cas de la première partie du récit, qui met énormément de temps à basculer dans le fantastique. En fin de compte, la dernière partie de l’histoire, centrée autour de Charlotte, est sans nul doute la plus réussie. C’est celle qui apporte cohérence et énergie à l’ensemble, mais elle aurait mérité de débuter plus tôt.
L’approche vampirique proposée par Lauren Owen rassemble les racines folkloriques du vampire, tout en donnant un éclairage personnel sur ce que sont les créatures. Les protagonistes, notamment Mould, puis le duo Adeline/Shadwell s’appuient (et mentionnent) des auteurs tels que Dom Calmet, Piton de Tournefort ou encore Michael Ranft. Les vampires, ou plutôt les Meurtvifs comme se nomment certains d’entre eux, sont des entités quasi immortelles qui veillent à œuvre discrètement. Au rang des caractéristiques classiques, ils ont besoin de s’abreuver de sang et craignent la lumière du soleil. Concernant les idées nouvelles, il y a ce froid impossible à soulager éprouvé par les créatures. Ils possèdent en outre la capacité de s’immiscer dans les pensées d’autrui, matière autant à partager leurs affects et expériences qu’à influencer les mortels (les Rapides, comme ils les appellent). Plus que tout, il y a cette idée que pour être transformé en vampire, un individu doit accepter et comprendre de quoi il retourne. C’est l’un des moteurs de l’intrigue du Club Aegolius. D’autres caractéristiques seront également étudiées par Mould et certains des protagonistes, telle que la possibilité d’entrer dans un lieu sans y avoir été invité, ou la posture des vampires face à la religion.
Les deux premières parties du Club Aegolius possèdent quelques longueurs, qui résultent autant de la mise en place que du parti pris narratif, notamment dans la deuxième partie. Pour autant, ce roman, qui retourne en plein XIXe siècle anglais est une lecture très enrichissante, qui démontre s’il en était besoin que le buveur de sang est une créature que deux siècles de productions littéraires et cinématographiques n’ont pas laissée exsangue.