Publié en 1820, le Vampyre de Polidori est un des premiers textes en prose mettant en scène un vampire. A cet effet, il contient les bases de toute une partie de la littérature vampirique, et est donc un ouvrage dont la lecture s’avère indispensable à qui s’intéresse au sujet.
Pour introduire le texte de Polidori, les responsable de la collection Frissons ont choisi d’inclure le Vampyre de John Stagg, un des premiers poèmes sur le thème du vampire. Il est à cet égard à ranger aux côtés de La Belle Dame sans merci, de Keats, de Lamia, du même Keats et du Christobel de Coleridge. Jamais traduite en français, sa publication en exergue du texte de Polidori était donc une très bonne idée.
Ce poème fait le lien entre les mythes classiques de l’est européen et le vampire tel que nous le connaissons actuellement. On y découvre en effet une femme dont le mari a été contaminé par la morsure d’un vampire. Ne parvenant pas, dans un premier temps, à comprendre ce qui arrive à son mari, qui dépérit de jour en jour, la jeune femme va peu à peu ouvrir les yeux sur la malédiction qui conduit son amant de vis à trépas, au fur et à mesure que celui-ci va lui révéler la source du mal qui le ronge.
A la différence des vampires des mythes roumains, popularisés par Rohr, Ranft puis Calmet dans leurs écrits, les vampires de ce long poème s’abreuvent directement de sang. Si la mise à mort du vampire s’avère des plus classiques, on s’éloigne donc des morts qui mâchent pour s’approcher de la créature buveuse de sang, même si les crocs et les symboles religieux ne sont pas encore là.
Suit donc le texte de Polidori, longtemps attribué à Byron. Aubrey, jeune héritier désireux de voyager, décide de suivre Lord Ruthven à travers l’Europe, malgré les conseils de ses tuteurs. Il découvre peu à peu quel sombre personnage se cache derrière son compagnon de route, et se sépare rapidement de lui. Pour retrouver sa trace quelques temps plus tard, après qu’une étrange histoire lui soit arrivée. Si la plume de Polidori n’est pas des plus légère, et son texte plutôt ampoulé, il n’en demeure pas moins qu’un charme certain se dégage de cette longue nouvelle, première du genre, qui suscitera un intérêt certain en Europe, que ce soit de la part des littérateurs ou des auteurs de théâtre, qui se penchèrent rapidement sur le cas de Ruthven.
Le vampire de Polidori est proche de la vision cinématographique d’Universal, puis de la Hammer. Le vampire s’attaque à des jeunes et jolies femmes, pures, dont il finit par causer le trépas, sitôt leur union prononcée. Dans cette nouvelle, le vampire apparaît rapidement comme une personnification du mal absolu, du corrupteur qui n’hésite pas à se faire passer pour mort pour mieux reparaître à l’improviste. Une créature purement maléfique qui semble à même de se déplacer aussi bien le jour que la nuit, mais a besoin de s’abreuver de sang pour survivre. Vile et tentatrice, c’est en s’attirant les faveurs du héros qu’elle causera peu à peu sa perte.
Suit le texte de Nodier, qui modifie la fin de la nouvelle de Polidori, de manière à en proposer une suite. Aubrey, qui n’est pas mort, se retrouve sur le chemin de Leonti, qui a perdu Bettina, son aimée, assassinée par un vampire. Tous deux finiront par croiser la route de Nadour-Heli, qui cache également un lourd passé, et un amour brisé. Tous les trois vont se mettre sur les traces du vampire auquel ils attribuent leur malheur, et qui pourrait être une seule et même personne. Nodier utilise son récit, plus long qui celui de Polidori, pour y insérer de nombreuses mises en abyme, rappelant par cela des textes comme les 1001 nuits (dont certains des récits ne sont pas très éloignés, notamment par le cadre où ils se déroulent). Plus agréable à lire que le texte de Polidori, le texte de Nodier dispose d’une ambiance réussie, d’une utilisation plus forte du sentiment amoureux, en mettant au devant de la scène trois personnages dont l’amitié se retrouve scellée par une expérience commune, atour d’un amour perdu. Tous trois mettront un terme aux exactions de Ruthven, en le tuant à la manière classique. Sans pour autant réussir à empêcher ce dernier d’emporter dans la tombe nombre de leurs alliés.
Le personnage du vampire est dans la lignée de celui de Polidori. A l’image des vampires de Le Fanu et de Stoker, il n’apparaît qu’à travers les yeux des autres protagonistes, introduisant d’emblée une distance marquée entre la créature et ses opposants. Froid, calculateur et attiré par la souffrance et les bas instincts de l’humanité, le vampire apparaît comme dans le texte du médecin de Byron comme une créature corruptrice, qui sait ménager ses effets pour s’attirer la bienveillance des puissants, et ainsi tisser ses rets dans l’ombre. Une créature qui ne peut pas être excusée, et ne trouvera sa fin que dans la violence dans laquelle elle a vécu.
Pour sa première sortie, la collection Frissons a donc choisi de partir des sources littéraire du mythe du vampire, donnant à la fois la parole à la poésie romantique (qui marque la récupération de la créature folklorique et mythologique comme sujet littéraire) et aux premiers textes en prose qui se sont penchés sur le sujet. On s’éloigne d’emblée de la créature de légende, et de la femme fatale chère à Keats et autres Coleridge, pour se rapprocher peu à peu de la conception classique du personnage. L’ascendance noble, la corruption, la matérialisation de l’altérité se mettent en place, préparant le terrain pour Le Fanu (qui va confirmer le succès de la créature), puis à Dracula, qui va servir de terreau à la majeure partie des textes vampiriques de la première moitié du 20e siècle, et fixer durant de nombreuses années les caractéristiques du mythe.
Lors de l’été 1816, John William Polidori et Lord Byron résident près du Lac Lément. Ils recevoient entre autre Mary Shelley cet été là. La météo est catastrophique. Lord Byron propose à ses invités un petit défi : écrire une histoire de fantômes. Byron écrira un récit très fragmenté que Polidori reprendra pour écrire (en 2 ou 3 matinées) The Vampyre qui sera publié l’année d’après. Mais c’est Mary Shelley qui remportera se petit défi en commençant l’écriture de Frankenstein. Comme quoi, de petits défis entre amis peuvent nous donner de grands écrits !