John Nathan, journaliste à Music Mag, se voit invité à interviewer Nosferatu, la rockstar du moment, que personne n’est arrivé à débusquer jusque-là. Il prend donc la route pour la Roumanie, où le musicien l’attends dans son château. Les échanges entre le journaliste et son hôte prennent une tournure inattendue quand ce dernier annonce être le vrai Nosferatu. D’abord dubitatif, John Nathan doit se rendre à l’évidence : il a bien en face de lui le personnage immortalisé à l’écran par Murnau. Happé par les confessions de son interlocuteur, le reporter musical se laisse peu à peu happer par le récit de celui-ci.
Les amateurs de lectures ès vampires ne peuvent ignorer le nom d’Alain Pozzuoli. Auteur de quelques nouvelles et poèmes publiés en fanzine dans les années 1970, il s’impose en tant que spécialiste du vampire avec la première mouture de sa biographie de Bram Stoker, parue en 1989. Il enfonce le clou en 1992, avec Dracula (1897-1997) – Guide du centenaire, réédité plusieurs fois (et complété) en 2005 puis 2010. Il a publié de nombreux autres ouvrages sur le sujet, le plus récent étant Les 100 films cultes de vampires (2019). Spécialiste français de Bram Stoker, il ne s’était que très rarement aventuré sur les terres de la fiction. Nosferatu est ainsi son premier roman publié sous son vrai nom.
Un constat s’impose au fur et à mesure de la lecture des chapitres : l’auteur s’amuse avec ses références. Ainsi les noms et la prémisse du récit (un jeune homme qui rend visite à Nosferatu dans son château perdu en Roumanie) souligne le jeu avec le roman de Bram Stoker auquel se livre l’écrivain. Dracula paraît servir de guide à Alain Pozzuoli pour poser son cadre. Mais l’auteur s’amuse également des nombreuses itérations de Dracula (le personnage, cette fois), et choisit de différencier ce dernier d’avec Nosferatu. La créature effrayante de Murnau endosse sa propre individualité, remettant les choses dans leur contexte. Fiction et réalité s’entremêlent, entre personnages historiques et sociétés secrètes qui tissent leur toile dans l’ombre de l’humanité. Sachant que l’auteur distille d’autres passions au fil du texte, notamment celle pour la musique, cette dernière étant au cœur des projets de Nosferatu.
La mythologie vampirique proposée ici par Alain Pozzuoli est à la fois dans les pas de celle de Stoker, mais le romancier y ajoute quelques touches originales. Ainsi l’existence de deux origines possibles au vampire, qui peut avoir été intronisé ou avoir été transformé sans son accord. De quoi imaginer l’existence d’un culte voué aux créatures de la nuit, et composé en grande partie de celles-ci, et des initiés. L’auteur rend dans le même temps cohérentes les différentes variations existantes autour du mythe du vampire, Nosferatu se livrant à un cours de folklore à destination de son interlocuteur. La transformation de Nosferatu, qui s’est fait il y a bien longtemps, sur les champs de bataille, est due à la morsure d’une goule. Quant à la dimension métaphorique de la créature, elle n’est pas laissée de côté. La relation entre Nosferatu et John Nathan se cristallisant progressivement autour d’une certaine tension sexuelle. Dernier détail amusant : le personnage titre révèle à son interlocuteur que Dracula n’a jamais été vampire, et attribue ce choix à la volonté de Stoker, initié aux secrets des Frères de Sang, de brouiller les pistes.
Le roman a permis à l’auteur d’exploiter ses connaissances du texte et de la fortune de Dracula pour construire une histoire en hommage à tout un pan de la fiction fantastique. C’est fait avec un amour indéniable du sujet, et même si certains retournements de situations ont un côté déjà vu – ce qui paraît presque recherché, vu les références qui parsèment le texte, jusqu’à ses chapitres finaux – Nosferatu est une lecture très sympathique. En espérant que ce soit une première étape pour l’auteur ?