Au fil des dix-sept nouvelles qui constituent ce recueil, les auteurs nous entraînent dans l’histoire de la Fédération, un rassemblement de plus en plus important de villes et territoires d’une Europe fantasmée, initiée par les villes de Laërne, Lauterbronn et Ozmüde. Des récits qui esquissent une Histoire différente de la nôtre mais dont les revirements ne surprennent pas forcément, et en appellent à l’inexorabilité du temps qui passe. Un univers où les tensions politiques frontalières ne doivent pour autant pas faire oublier les mystères qui se déploient dans l’ombre.
Les soldats de la mer est un ouvrage à part. Quand on se penche sur le passé éditorial du texte, il est indéniable qu’il n’a cessé de susciter l’intérêt depuis sa première publication, avec pas moins de quatre rééditions depuis sa première parution chez Julliard en 1968. C’est à travers la dernière édition du texte, chez Dystopia, et après que mon libraire m’ait mis le texte dans les mains que je me suis donc décidé à m’y intéresser.
D’emblée, le lecteur est quelque peu déstabilisé par cet univers qui ne se laisse approcher que par vagues successives, au fur et à mesure des nouvelles. Car si chacune d’entre elles est parfaitement compréhensible, le contexte global et le fil conducteur n’apparaissent que par petites touches, qui servent d’introduction aux différents récits et posent les temps forts de cette mystérieuse Fédération. Où se situe l’intrigue ? Est-ce dans un réel différent du nôtre ou y-a-t-il un lien entre les deux ? Et pourquoi la dimension fantastique y est aussi présente, alors que la Fédération semble davantage appelée à rationaliser le monde dans lequel elle s’agite ?
Le style est finement ciselé, les mots glissant sur la page, facilitant l’immersion du lecteur dans ces contes de guerre (car c’est bien là l’un des thèmes de fond du recueil) qui donnent autant de visages (et de personnalités) à une forme politique tentaculaire à propos de laquelle fusent les questions. Pourquoi cette Fédération ? Qui en est réellement à l’origine ? Quel est son but ? Autant de interrogations qui vont peu à peu émerger dans l’esprit du lecteur et pour lesquelles il n’aura de réponse qu’au terme de sa lecture, au cours d’une révélation finale – apothéose du plus bel effet.
L’ensemble du recueil puise dans les récits fantastiques classiques XIXe, que ce soit au niveau de l’ambiance ou des thématiques et éléments de mise en scène utilisés. Le thème du vampire n’y fera pas exception avec une nouvelle qui mettra une troupe de soldats aux prises avec un oupire, le terme russe pour « vampire ». On y croisera donc des victimes exsangues et des créatures incapables de contrôler leur besoin de se sustenter de sang, et dont les victimes deviennent, sauf actions particulières, des oupires à leur tour. A noter, également, la présence d’une contrée nommée Slavachie, clin d’œil à peine voilé à la Valachie de Vlad Tepes.
Un ouvrage intriguant qui happe peu à peu son lecteur, une fois que ce dernier parvient à se mettre au diapason avec le rythme de l’ensemble. Une très belle plume et des ambiances qui marient récit de guerre, conte et onirisme, pour un résultat qui mérite franchement qu’on se penche dessus.