Luke/Lucy semble ne plus être tout à fait lui-même. Un nouvel enseignant fait dans le même temps son apparition à l’école. C’est finalement Wilhelmina Murray qui sera la première à échanger avec lui. Muni d’une baguette de coudrier, le professeur suit une piste qui le conduit dans les caves de l’établissement, où sont entreposées certaines des caisses du Démeter. Le mal responsable de la disparition de l’équipage est-il en train de corrompre l’ensemble des lieux ? C’est ce que le nouveau venu, qui répond au nom de Van Helsing, tente de vérifier. À la pointe de la recherche scientifique, il n’en est pas moins ouvert au surnaturel. Mais sera-t-il de taille face à un opposant tel que Dracula ?
Cette suite de #DRCL midnight children entérine le processus débuté par Shin’ichi Sakamoto dans le premier volet. On est indubitablement en présence d’une adaptation du Dracula de Bram Stoker, d’autant que la galerie de personnage se précise, avec l’arrivée de Van Helsing. La trame nous amène au moment où Luke/Lucy, corrompu par Dracula, change. Ses proches et amis, secondés par un nouveau professeur qui parait savoir à quoi il a affaire, tentent d’enrayer le mal. Mais si l’on retrouve des éléments de fonds comme de forme du roman original, la dynamique est toute autre. Ainsi l’ambiguïté de genre Luke/Lucy pèse sur les relations entre les jeunes personnages. Arthur Holmwood, Quincey Morris, Jo Suwa sont tous les trois attirés par Luke/Lucy. Certains voient en lui une femme (Mina, Arthyr), d’autres en homme (Quincey). Mais tous manifestent un attachement fort pour il/elle. La question de la hiérarchie sociale est également au coeur du récit, avec Holmwood qui s’affirme en haut de la chaîne, quand Mina est finalement laissée de côté par Van Helsing parce qu’elle est une femme.
On le sait depuis le premier volet, le mangaka a choisi de faire abstraction de la première partie du roman, et de faire disparaître Harker. L’intrigue se focalise donc sur Whitby, et l’école dont les principaux protagonistes sont des internes. Dans le même temps, Sakamoto joue sur les faux semblants, les pouvoirs d’illusion du vampire comme les obsessions des différents personnages. La force de ce deuxième album, c’est aussi de montrer qu’au fur et à mesure que la menace la folie contaminent les résidents de l’établissement scolaire. Déjà Arthur, victime de ce qui paraît être une crise de démence. Mais surtout face aux pouvoirs de Dracula, qui se manifeste enfin. L’ensemble propose des scènes de cauchemar, où le voile de la folie tombe sur le réel. Le lecteur est pris dans un maelström, comme un spectateur impuissant de l’inéluctable.
Graphiquement, je trouve #DRCL midnight children un cran supérieur à ce que l’auteur avait pu produire sur sa série Innocent. On retrouve son intérêt pour une certaine fluidité de genre, qui est finement intégré dans les cases de l’album. C’est essentiellement prégnant avec Luke/Lucy. Il y a aussi la question des castes, et de l’invisibilisation, au travers du personnage de Mina. Sakamoto reprend également le leitmotiv du regard qu’il avait initié dans le précédent volet. C’est le regard qui est l’une des premières manifestations du comte, et c’est ce même regard qui paraît être un des principaux vecteurs de la propagation du mal. Le trait du mangaka est impressionnant, et parvient à distiller une poésie macabre palpable d’un bout à l’autre de cette suite.
Sakamoto respecte les caractéristiques du vampire (et du comte) telles que popularisées par Stoker mais ajoute néanmoins sa vision à l’édifice. On l’a dit, Dracula prend davantage corps dans ce deuxième volet, alors qu’il semblait encore éthéré dans le premier tome. L’auteur convoque également le spectre du Dracula historique, dans l’illusion dont seront victimes les protagonistes, croyant voir un dragon géant s’attaquer à eux. Van Helsing utilisera quant à lui des fleurs d’ail pour ralentir les effets de la morsure.
Une suite toujours d’un très haut niveau pour cette adaptation de Dracula. Sakamoto confirme qu’il s’appuie bien sur le texte original, ses principaux personnages et lieux. Mais dans le même temps, il recompose le texte à sa manière.