Entre les années 1890 et 1930, un volume important de lettres est expédié au conservateur du Père-Lachaise. Venues d’un peu partout (Europe, mais aussi continent américain), elles demandent toutes des précisions quant à une mystérieuse testament. La presse s’en est fait ponctuellement l’écho, ajoutant ou modifiant ça et là certains éléments. Il est question d’une princesse russe (puis d’une riche héritière) qui léguerait toute sa fortune à celui qui passerait un an dans son mausolée, à garder son cercueil de verre. Stéphanie Sauget propose ici d’explorer les tenants et aboutissants de ce qui se présente comme une matrice de légende urbaine.
Je connais l’existence de la légende du cercueil de verre du Père-Lachaise depuis des années. Jacques Sirgent la cite régulièrement dans ses visites du cimetière parisien, et elle est mentionnée dans de nombreux ouvrages autour de l’endroit et des annecdotes qui y sont rattachées. Stéphanie Sauget débute son analyse en partant des courriers adressés au conservateur du cimetière, dont une partie (une soixantaine) subsiste dans les archives du lieu. À partir de là, elle dévoile peu à peu le fond de la légende, qui justifie cette abondante correspondance. Bifurquant ensuite sur la presse, dont des coupures sont jointes aux lettres, la chercheuse retrace l’évolution de la légende, tentant de faire le point sur sa genèse et son contexte.
Reste que l’anecdote est dans le même temps une opportunité pour explorer l’imaginaire de la dernière demeure et du cercueil, entre Blanche-Neige et la fiction vampirique. L’occasion pour Stéphanie Sauget de s’intéresser aussi bien la littérature de fiction qu’aux documents d’architecture. L’ouvrage ne manque ainsi pas de visuels, produisant les schémas successifs des tombeaux Demidoff et Beaujour, les deux caveaux les plus régulièrement reliés à la légende. Elle détaille par ailleurs l’évolution des pratiques funéraires rattachées au cercueil. Ce faisant, elle convoque les angoisses et changements sociétaux qui concernent la conservation des corps, entre peurs de l’enterrement prématuré, des voleurs de cadavres, des épidémies associées à la décomposition des corps.
L’anecdote a infusé dans la fiction dès 1907 avec la nouvelle « Le mausolée du Père-Lachaise » (titre français) de Karl Hans Strobl, sur laquelle va s’appuyer la chercheuse. On la retrouve également en 1925 dans « Le Gardien du cimetière » de Jean Ray, et sans doute dans d’autres textes qui n’ont pas dépassé une publication dans la presse. C’est là que la légende recroise la figure du vampire, et le testament de la princesse se transformant en piège pour des victimes appelées à nourrir celle-ci. Stéphanie Sauget exploite ce lien en s’intéressant à la place du cercueil dans la fiction vampirique. Elle souligne que les premiers poèmes (et la novella de Polidori) ne montrent pas de cercueil, et que celui-ci apparaît à partir de Varney. Ce qui explique qu’on le retrouve ultérieurement dans Carmilla et dans Dracula (ou il devient central).
Le livre de Stéphanie Sauget est une exploration passionnante d’une légende contemporaine (plus qu’urbaine, comme elle le détaille), ses racines dans la société de son temps et ses répercussions, notamment dans la fiction. Juste un bémol avec le nom de Bram Stoker, orthographié Stocker sur la totalité du texte… sauf en biographie.