Bram Stoker a séjourné plusieurs années de suite à Crudden Bay, petit port de pêche de l’Aberdeenshire, sur la côte nord de l’Écosse. Plusieurs de ses textes sont indubitablement marqués de ces moments de repos en terre calédonienne : The Watters Mou, The Mysteries of the Sea, et surtout, Dracula. Les notes de Stoker comme le calendrier d’écriture (et de publication) de son roman vampirique sont indubitablement marqués par l’impact qu’ont eu les lieux, ses habitants et le folklore local sur ses inspirations et son style. Mike Shepherd, qui vit sur place, a décidé d’investiguer pour remonter ainsi aux origines écossaises de Dracula.
Le grand oeuvre de Bram Stoker (et son processus d’écriture) est un de ceux qui suscitent le plus l’intérêt des chercheurs de tous les horizons. La genèse du vampire le plus emblématique de la littérature du XIXe siècle a en effet engendré (et engendre encore) une production de non-fiction colossale, proposant autant de pistes de réflexion sur les connexions entre la vie de l’auteur et son oeuvre, la place du texte dans son époque, etc. Il est de notoriété publique (notamment à travers les notes de Stoker) que ses haltes à Crudden Bay ont été centrales dans la rédaction du roman. Pour autant, personne n’avait jusque-là essayé d’approfondir cet aspect des choses, et évaluer l’impact conscient et inconscient qu’ont pu avoir les lieux sur le processus d’écriture.
Mike Shepherd, qui habite le village même, était donc la personne idéale pour mener à bien ce projet. Qu’il s’agisse de dresser la liste des croyances qui présentes dans l’esprit des habitants de l’époque comme évoquer le souvenir des Stoker, l’auteur fait un travail d’enquête remarquable, qui permet de se propulser à l’ère victorienne, au moment même ou Stoker découvre Crudden Bay et décide d’en faire son incontournable lieu de villégiature… et d’écriture. On apprends ainsi que certains éléments architecturaux du château de Dracula (la salle octogonale en tête) achèvent de faire de Slain Castle, qui domine la côte, l’une des sources de la citadelle du comte. Quant au légendaire local, qui en appelle aux croyances liées à la mer, on retrouve sa trace (sans même parler des lieux qui y sont utilisés comme décor) dans les autres textes écrits sur place.
L’auteur sort également de son objectif d’origine (et encore) quand il choisit de montrer comment l’oeuvre de Walt Withman a pu façonner les croyances de Stoker, et la manière dont les poésies de l’américain infusent son oeuvre. À ce moment-là, on a en effet l’impression de quitter quelque peu de l’Aberdeenshire, si ce n’était la place de la mer, qui reste centrale dans l’analyse de Shepherd (comme dans l’oeuvre de Stoker dont la genèse est rattachée à ses pauses écossaises).
Certes, il y a là beaucoup de suppositions, et des thèses qu’il semble difficile de confirmer, étant donné que certaines connexions entre Stoker et des personnages qui ont vécu (ou sont passés) à Crudden Bay ne sont pas certaines. De même pour les allusions à la poésie de Whithman, dont je parle plus haut (si on laisse de côté les références textuelles intégrées à ses récits). Mais le travail de recherche effectué (et les nombreuses découvertes qu’il entraine) est à la hauteur des attentes de l’amateur du romancier irlandais. Dacre Stoker, qui a rédigé la préface de l’essai, ne s’y est pas trompé. D’autant qu’il arrive bien, par la prose, à se mettre dans les bottes de son ancêtre, et à imaginer quel a pu être l’impact sur les affects de Bram des premières balades sur la plage du lieu, et la vision de la mer et des récifs qui encadrent la plage.