En 1922, pour s’éviter de devoir acquérir les droits du roman de Bram Stoker, Friedrich Wilhelm Murnau choisit de rebaptiser le comte Nosferatu dans un long-métrage devenu l’un des chef d’oeuvres du cinéma expressionniste. Mais le réalisateur fait bien plus que changer les noms et modifier la localisation de l’intrigue : il ajoute une puissance onirique unique à son récit, et sa représentation du vampire n’a plus rien à voir avec celle du romancier irlandais. Avec ce petit essai, Olivier Smolders propose autant d’explorer les dissemblances entre Nosferatu et la lignée des Dracula entamée avec celui de Tod Browning, que de comprendre comment les représentations du vampire au cinéma ont évolué… depuis leurs racines dans la peste vampirique du XVIIe siècle.
La filmographie de l’auteur fait état d’une appétence pour l’onirisme et les thématiques sombres, à commencer par le lien intemporel entre Eros et Tanathos. Car Olivier Smolders, avant d’être l’auteur de cet essai (et d’une dizaine d’autres publiés au préalable), est lui-même réalisateur de près de 15 films, dont un long métrage. Des œuvres cinématographiques qui puisent leurs inspirations dans les textes du surréaliste Marcel Mariën, ou du Marquis de Sade, voire à travers l’œuvre et la vie du peintre Antoine Wiertz.
Dès lors, difficile de s’avérer surpris de ce qui sous-tend ce petit ouvrage. L’auteur, à travers son analyse de l’approche de Murnau, dit son amour pour la manière dont le réalisateur allemand a su s’approprier la créature, jouant sur les faux-semblants plutôt que sur une approche plus directe, qui sera la route prise par la plupart des autres adaptations. Mais avant de passer ces dernières (du moins une sélection d’entre elles, notamment les cycles d’Universal et de la Hammer), Smolders propose avant toute chose de revenir aux sources. Pour cela, il revient sur la chronologie, certes rétrécie mais non moins efficace, du passé du vampire, déjà à travers l’avènement du vampire des Balkans en pleine Europe des Lumières, puis son passage dans la fiction, par l’intermédiaire de la poésie romantique. Ce faisant, il pointe l’évolution des grandes caractéristiques de la créature, qui trouveront leur stabilité avec les romans de Polidori, Le Fanu et Stoker. Et là aussi, l’auteur prend position. En faveur de Le Fanu, ce qui est pour le moins cohérent avec l’approche cinématographique qui lui semble la plus judicieuse pour la créature : celle de l’onirisme, du rêve.
Les habitués de ce type d’ouvrages pourraient objecter que tout cela semble assez vain, après la pléthore de livres déjà édités sur le sujet. Et pourtant, Olivier Smolders tire son épingle du jeu à travers son approche, et par certains passages d’analyse remarquables. A ce titre, je pense que la partie consacrée au Vampyr de Dreyer justifie à elle seule l’achat du livre, pour ceux qui apprécient le film (et ceux que sa place dans le cinéma aux dents longues intrigue). L’ensemble est également très bien sourcé.
Au final, Dracula contre Nosferatu est un essai aussi court qu’original, en cela qu’il choisit davantage de mettre en lumière la variation imaginée par Murnau plutôt que les descendants plus tape à l’œil dont Browning a été un des premiers artisans. L’ensemble est certes partisan (l’auteur ne cache pas son opinion sur certaines approches ou films), mais il fait mouche et permet d’aborder sous un angle un peu différent la genèse du cinéma des vampires.