Tómas Harker se rend en Transylvanie pour finaliser un contrat avec le comte Mavros Draculitz. Alors que le maître des lieux lui a demandé de rester quelques jours supplémentaires, le jeune homme comprend progressivement qu’il est retenu prisonnier. Le château paraît regorger de mystères, telle cette jeune femme que le comte présence comme sa nièce psychologiquement instable. Entre elle et Harker, un étrange jeu de séduction se met en place. En cherchant à s’échapper, l’avoué finit par découvrir un passage secret qui le mène au cœur de la forteresse. Là, il assiste à une scène effroyable, où le maître des lieux prend la tête d’une cérémonie face à des humanoïdes simiesques qui semblent voir en lui leur gourou. Le sacrifice qui clôture le rituel fait réaliser à Harker qu’il doit fuir. Mais n’est-il pas déjà trop tard ? Et que sont ces correspondances nombreuses que le comte paraît tenir avec des personnages hauts placés, un peu partout en Europe ?
Après la version islandaise de Powers of Darkness, voici donc ce qu’il en est de la version suédoise, présentée comme le matériau original. Si j’ai connaissance des deux traductions du texte suédois, l’une chapeautée par William Trimble, l’autre par Rickard Berghorn, j’ai choisi de plutôt me servir de celle publiée par le second. Dans un premier temps parce que la méthode de traduction explicitée par Trimble ne me plaisait pas (dans l’idée du recours initial à des outils de type DeepL ou Google Translate). La lecture croisée de plusieurs chapitres m’a confirmé le bien-fondé de cette décision, avec plusieurs erreurs et contresens passés au travers des mailles de la correction. Sans aller jusque-là, le résultat me paraît beaucoup moins ciselé, même s’il permet globalement de prendre connaissance de l’histoire. L’intérêt de la version de Trimble — uniquement disponible au format numérique — tient à mon sens davantage à son paratexte, qui s’appuie sur des préface de Hans de Roos et des articles de Tyler Tichelaar and Sezin Koehler – même si je ne partagent pas leur opinion sur le racisme de l’oeuvre. L’ouvrage dirigé par Berghorn n’est pas lui non plus avare en information, avec une longue introduction de ce dernier (téléchargeable ici) qui recontextualise l’oeuvre, une note intéressante concernant ses choix de traduction, et plusieurs notes de bas de page. Les deux itérations proposent enfin une mise en lumière des illustrations originales.
Pour ceux qui découvriraient Powers of Darkness à l’occasion de cette chronique, il faut avoir en tête que ce texte, publié à l’origine sous la forme d’un feuilleton dans le journal Dagen, prend la forme d’une traduction du Dracula de Bram Stoker. Néanmoins la lecture démontre rapidement qu’il s’agit de bien plus que ça. L’auteur anonyme étoffe considérablement le roman de départ, modifiant la trame, intégrant des personnages, des scènes… tout en restant dans le cadre global de Dracula. Il n’y a guère que la dernière partie du récit initial (la longue course-poursuite qui s’achève devant le château) qui saute, la fin de Dracula ayant lieu à Londres (comme dans le film de Tod Browning en 1931). L’ensemble est d’une richesse incroyable, ajoutant des dimensions policières et politiques qui ne sont que suggérées chez Stoker. La galerie de portrait, si elle débute avec les mêmes visages, évolue de manière significative. Le petit groupe qui sera responsable de la mort du comte Draculitz s’avère assez différent de celui formé par les Harker, Van Helsing, Seward, Godalming et Morris chez Stoker. Au niveau des ajouts, l’auteur travaille de façon appuyée ses ambiances, ce qui est autant perceptible dans le voyage de Harker que dans la partie du récit qui se déroule à Whitby. On a presque l’impression d’être face, ponctuellement, à des scènes coupées, tant elles s’intègrent à la trame de départ. On peut à ce titre citer les éléments du journal de Lucy, qui offrent de suivre au plus près la transformation de celle-ci. Mais les remaniements de l’intrigue, des personnages comme le détective Barington-Jones, montrent dans le même temps que l’auteur ne s’est pas contenté d’agrémenter la plume de Stoker. Bien plus que cela, il se l’approprie et propose un résultat différent, bien plus que la traduction qu’il est censé être. On mesure également le décalage entre les deux textes par la place qui y est accordée aux femmes. Si Mina se rend en Transylvanie pour enquêter sur la disparition de son fiancé, elle est mise de côté à la fin du récit.
La figure du vampire telle qu’elle apparaît dans cette version est somme toute assez similaire à celle du roman original. Ce sont des créatures qui se reposent dans leurs cercueils le jour venu, et profitent de la nuit pour agir. Ce qui ne les empêche pas malgré tout de se mouvoir au soleil, si cela s’avère nécessaire. À noter également la fin du vampire, qui meurt d’un pieu enfoncé en plein cœur, alors que Van Helsing avait préparé un pistolet avec des balles en argent. Plus tard, tandis qu’il s’attelle à mettre un terme aux exactions de Lucy (une des dernières scènes de Powers of Darkness, qui survient bien plus tôt dans Dracula), c’est en plaçant un crucifix entre les mains de la jeune femme qu’il parvient à juguler le démon qui a pris possession de sa dépouille.
On s’intéresse souvent de Powers of Darkness en se focalisant uniquement sur sa genèse, tout particulièrement le mystère qui entoure sa préface (attribuée à Stoker). L’existence possible d’un manuscrit différent de celui de l’œuvre que l’on connaît, auquel aurait eu accès le traducteur, a également fait couler pas mal d’encre. Difficile de nier l’attractivité représentée par ces pistes de travail. Pour autant, le texte en lui-même n’en est pas moins intéressant, en cela qu’il propose une relecture riche de le l’ouvrage de base, lui donnant une dimension digne d’une production Hammer. Powers of Darkness est publié pour la première fois en 1899, soit deux ans après le livre de Stoker. Matière à démontrer que dès ses débuts, le pouvoir de fascination exercée par le récit de l’auteur irlandais est sans équivalent. Ne manque plus qu’une traduction française à partir du suédois, pour faire découvrir ce texte à ceux qui lisent uniquement dans la langue de Voltaire.