1868. Bram Stoker veille dans une ancienne tour, tandis qu’une entité semble s’échiner à rentrer dans la pièce que le jeune homme protège. Entre les attaques successives, Bram profite des moments de répit pour coucher sur le papier ce qui l’a amené ici. Et remonte à son enfance, alors qu’il vivait reclus dans sa chambre, alité la plupart du temps. Personne ne semble en mesure de soigner la maladie qui l’a atteint. Pourtant Ellen Crone, sa nourrice, arrive à le soulager, sans que personne ne comprenne bien comment. Quand une vague de crimes secoue le voisinage, le jeune Stoker et Matilda, sa soeur, réalisent que leur nanny pourrait avoir un lieu avec ces derniers. Ils décident d’enquêter.
Dacre Stoker n’en est pas à son coup d’essai dans le sillage de son arrière-grand-oncle. En 2009, il publiait ainsi Dracula L’Immortel, écrit à quatre mains avec Ian Holt. Derrière ce texte, l’une des ambitions était de reprendre en main la descendance littéraire de Dracula, la famille Stoker ayant été rapidement spoliée des droits attachés au roman. Basé, de l’aveu des deux auteurs, sur des notes non exploitées de Bram Stoker et sur des recherches complémentaires, cette première tentative ne m’avait pas convaincu outre mesure, la campagne de marketing en ayant quelque peu surévalué les qualités. Depuis, Dacre Stoker a poursuivi ses investigations et effectué de nombreuses conférences. Il revient donc à l’écriture en s’associant cette fois-ci avec J.D.Barker, dont le roman Forsaken a été couronné d’un Bram Stoker Award en 2014. Qu’en est-il de cette nouvelle tentative, basée sur des découvertes récentes faites autour du texte d’origine et sur la possibilité qu’ont eu les auteurs d’accéder au manuscrit original, actuellement la propriété de Paul Allen (l’un des dirigeants de Microsoft) ?
Dès les premiers chapitres passés, on sait que le roman est d’un niveau bien supérieur à son prédécesseur. Le récit est aussi bien travaillé sur le fond que sur la forme. Les deux auteurs s’appuient autant sur les notes de Stoker que sur «L’invitée de Dracula», proposant à travers leur trame d’établir une nouvelle cohérence entre les deux textes du romancier irlandais. Ils partent également, de leur aveu, du manuscrit d’origine et utilisent des éléments de la préface récemment redécouverte, se posant dès lors comme une sorte de pivot autour de l’oeuvre draculéenne. Pour ce qui est de la construction du récit, le duo d’auteur fait allégeance au genre épistolaire (clin d’œil évident au texte d’origine), mais opte pour une structure non linéaire, du moins sur la première partie du roman. Bram Stoker remonte à sa tendre enfance pour relater au lecteur ce qui l’a conduit à la situation initiale dans laquelle il se trouve au début du texte. Progressivement, sa narration est complétée des interventions de sa sœur, puis de son frère, auxquels Arminius Vambéry vient se joindre en dernier lieu.
Dracula : L’Immortel voyait se succéder ses scènes sans que les auteurs prennent le temps de développer la psychologie de leur personnage. Dracula – Les origines ne reproduit pas cette erreur. S’il nous plonge d’emblée dans un cadre dont on ne sait rien dans un premier temps, le flash-back qu’impose le récit de Bram permet de développer la fratrie, tout particulièrement Bram et Mathilda, et leur relation. Dacre et J.D. construisent leur fiction autour de la réalité (la maladie infantile de Bram, le légendaire communiqué par les récits de leur mère – notamment le Dearg Due, etc.) de la famille, des connaissances de Stoker et de l’époque qui sert de cadre à l’ensemble (la grande famine irlandaise). L’histoire est prenante, bien ficelée, les personnages attachants, et se pose donc comme un bel hommage au texte d’origine.
En ce qui concerne les vampires, les auteurs respectent à la lettre les caractéristiques utilisées par Stoker dans son roman… mais aussi dans les notes originales, ce qui leur permet d’avoir recours à certains éléments de folklore laissé de côté par Bram (les roses). Se dégage de tout ça l’existence de créatures immortelles, dont la plus ancienne, Dracula, serait passée dans les rangs de la Scholomance. Les vampires sont des non-morts, qui doivent se nourrir de sang. Ils ont certains pouvoirs surnaturels, mais ceux-ci disparaissent à la levée du jour (ce qui ne les empêche pour autant pas de se déplacer le jour : ils sont justes plus vulnérables). L’opposition entre le religieux (et des objets et accessoires sanctifiés comme les crucifix, l’eau bénite, les hosties consacrées) et les entités surnaturelles que sont les vampires est également très présente, de même que le lien qui existe entre un buveur de sang et les créatures à qui il a donné la vie.
J’étais très curieux de me pencher sur ce nouveau roman, même si les faiblesses du premier essai de Dacre Stoker me laissaient éprouver quelques doutes. Au final, ce Dracula : Les Origines est une très belle réussite, bien écrite, qui puise judicieusement dans la vie de l’auteur de Dracula comme dans l’oeuvre elle-même et sa genèse, pour produire un texte pivot d’un niveau assez remarquable, qui se paie en conclusion le luxe de se raccrocher à la trame du roman d’origine, en faisant intervenir Mina Harker.