Alexandra Trese est la troisième génération de sa famille à seconder les forces de l’ordre de Manille quand les bas-fonds, le monde des créatures surnaturelles, s’invitent dans les affaires des hommes. Si elle a repris les manettes du Diabolical, dirigé successivement par son grand-père et son père, elle poursuit dans le même temps leur rôle de gardien. Au fil des décennies, les Trese ont en effet acquis connaissance et réseau pour veiller à ce que chacun reste à sa place. Et entre les fantômes, les aswang, les tikbalang et autres tribus et créatures dont les pouvoirs ne demandent qu’à s’exprimer, la jeune femme et les siens ont toujours eu fort à faire.
Trese est un comics (un komik) venu des Philippines, et initialement publié sous forme numérique. Dans sa langue d’origine, le projet de Budjette Tan et Kajo Badisimo a suscité rapidement assez d’intérêt pour passer au format papier, puis a été repéré par Netflix, qui en a proposé une adaptation animée. Une campagne de crowdfunding a permis aux auteurs d’être récupérés par un éditeur américain, et de trouver un successeur à la fermeture du premier éditeur. La série a donc une genèse houleuse, qui ne présage en rien de ses différentes qualités.
À l’image des Chroniques de l’Étrange de Roman d’Huissier, le lecteur se retrouver propulsé dans un cadre d’urban fantasy qui exploite un panthéon et une mythologie locale. Ici, il n’est ainsi pas question de vampires, de loups-garous et autres sorcières, mais d’aswang, d’oriol, de duwende et de laman lupa. D’un point de vue du genre et de la narration, on est donc en terrain connu, mais ce n’est pas le cas du monde dans lequel évoluent les protagonistes. Pour accompagner cette découverte, les auteurs insèrent des notes sur les différentes créatures, entre chaque histoire. Matière à donner des repères, tout en les intégrant à l’univers (ces textes sont présentés comme rédigés par le grand-père de l’héroïne). Si le schéma d’enquête et les côtés bad-ass du personnage principal pourraient sentir le réchauffé, il n’en est pour autant rien. Les deux auteurs prennent le temps de lever le voile sur Alexandra, son quotidien, ses connaissances surnaturelles. Il faut ainsi plusieurs histoires avant que l’on apprenne qu’elle dirige un bar, dont elle a hérité.
Graphiquement, l’ensemble est de très bonne tenue. Kajo Baldisimo a redessiné une partie des premières histoires avant que le duo ne tente de s’attaquer au marché international. Le noir et blanc du dessinateur paraît du coup relativement homogène d’un bout à l’autre de l’album. Il y a autant du Frank Miller (pour le sens du cadrage), qu’un trait proche de certains seinen, de quoi obtenir au final le meilleur de deux mondes. C’est fin, dynamique et lisible à tout instant, qu’on soit en pleine scène d’action où dans les moments plus posés, comme ceux où Trese échange avec le capitaine Guerrero. Le dessinateur sait aussi bien faire plonger son spectateur dans l’horreur, quand les créatures découvrent leur vraie apparence, que suggérer.
Il y a largement matière à exploiter les créatures vampiriques du panthéon philippin avec cet univers. Ce recueil met principalement à l’honneur les aswang, qui ont une place importante dans la première histoire. Ce sont des entités métamorphes, qui ne se transforment qu’une fois la nuit tombée, pour chasser. Dans l’univers de Trese, ils se sont pleinement adaptés à la vie urbaine, devenant un des rouages des bas-fonds (à la fois créatures surnaturelles et criminelles). Le clan que va affronter Alexandra s’est également adapté à l’élément liquide, faisant des affaires en tuant des sirènes pour la poudre de leurs ossements.
Un premier album relativement bluffant, qui combine les codes du hard-boiled d’urban fantasy, dans les pas d’un Harry Dresden ou d’un Rachel Morgan, au folklore philippin.