Athalie couve Adriel comme un enfant, mais ce dernier semble peu à peu prendre conscience de sa situation, et a des réminiscences, tout au plus quelques sensations, d’un passé dont sa protectrice ne veut rien dire. Egmont et Léopold s’aiment d’un amour interdit, alors que les conventions sociales de son époque entraînent peu à peu le premier vers un mariage arrangé, qui risque de l’éloigner sans appel de celui dont il s’est épris. De nos jours, Rachel, qui vit seule depuis qu’un événement a bouleversé son existence, a la surprise d’être invitée au concert de Cléopâtre, artiste devant laquelle elle est en admiration. Quant à Parascève, directrice de collection pour une maison d’édition spécialisée dans la romance, elle vit dans un univers tout de rose, hantée par le souvenir de la seule personne qui l’ait acceptée telle qu’elle était.
J’avais découvert Vincent Tassy avec «Mademoiselle Edwarda», une nouvelle qui se détachait particulièrement de la deuxième anthologie des Éditions du Petit Caveau. L’auteur m’avait surpris une seconde fois avec Apostasie, un texte qui était parvenu à me ramener aux grandes heures des éditions de l’Oxymore. Comment le dire à la Nuit allait-il me happer lui aussi ?
À dire vrai, j’ai été décontenancé à la lecture des premiers chapitres, l’auteur ayant choisi de faire se succéder des fragments situés à des époques différentes, mettant en scène des protagonistes qui ne semblent rien partager. L’ambiance, d’emblée pesante, que ce soit au niveau de la relation entre Athalie et Adriel, l’amour maudit qui unit Egmont et Léopold, les zones d’ombre du passé de Rachel, les faux semblants de la vie de Parascève, a cependant un je ne sais quoi qui m’a poussé à poursuivre ma lecture (ça et une grande confiance dans la plume de Vincent Tassy). Et tout bascule quand les différentes trames finissent par se rejoindre, à notre époque. Je n’ai certes pas eu le coup de foudre d’un Apostasie, mais force est d’avouer que l’auteur a pris des risques sur la forme, tout en restant sur le fond sur les thématiques qui lui sont chères.
Comment le dire à la Nuit joue autant avec les lieux qu’avec l’Histoire (ce qui a son importance dans le déroulement du récit). L’ensemble est à la fois documenté (notamment la partie historique) et agit par petite touche sur la composition du réel que fait l’auteur (par les références musicales, les lieux évoqués, etc.). De mon ressenti, en raison de cet ancrage et du romantisme fantastique qui se dégage de l’histoire, on est moins dans la continuité d’une Tanith Lee que dans les pas d’une Anne Rice. Et ça fonctionne relativement bien, avec peut-être un petit bémol pour la dernière révélation du texte, qui me semble moins faire bloc avec l’ensemble.
Une fois de plus, Vincent donne la voix au vampire. On comprendra rapidement qu’Athalie et Adriel sont deux buveurs de sang, et que l’un est la créatrice de l’autre. Cette création passe par un baiser de sang, qui transforme la victime en coquille vide aux ordres de son agresseur si elle est effectuée dans l’absence d’amour. Et si ces vampires ne semblent pas doués des pouvoirs surnaturels habituels, ils n’en révéleront pas moins quelques capacités qui leur permettent autant, par l’usage de l’esprit, d’influencer leurs géniteurs ou ceux qu’ils ont transformés.
Cette troisième livraison de Vincent Tassy rajoute une nouvelle oeuvre forte à sa bibliographie. Si je n’ai pas d’emblée été emporté par le récit, comme cela avait pu l’être avec Apostasie, je dois avouer que l’auteur a fini par me prendre une nouvelle fois dans ses rets. Tous les personnages ne m’ont pas happé de la même manière, ainsi ai-je davantage été accroché par l’histoire d’Egmont et Léopold (dans laquelle l’auteur excelle), voire les révélations sur le passé d’Athalie, mais l’ensemble est de belle tenue et montre une fois de plus que le romancier a une plume à mon goût : onirique, romantique, riche. Vivement le prochain projet.