Nadejda Teffi est une poétesse, romancière et nouvelliste russe qui se fait dans un premier temps connaître par ses textes satyriques. Elle choisit de s’exiler en France après la révolution d’Octobre, et devient bientôt l’autrice la plus lue de la diaspora russe. Elle publie ainsi Souvenirs, Une folle traversée de la Russie révolutionnaire, un récit de fiction pour lequel elle puise dans les anecdotes et le vécu de sa propre fuite. Vourdalak et autres nouvelles fantastiques est un recueil qui recense quatorze nouvelles de la main de Nadejda Teffi. Le livre est initiallement sorti sous le titre Vedma (La Sorcière), et traduit en français dès 1946. C’est d’ailleurs cette version qui est ici reprise par les éditeurs (qui ont contrôlé la qualité de la transposition en français à partir des textes originaux). L’autrice y explore la matière folklorique et fantastique de ses origines pour proposer des histoires empreintes de nostalgie, et non dépourvus d’un certain humour.
« Vourdalak » est la seule nouvelle du recueil qui se rattache à la figure du vampire. On y retrouve ce terme déjà utilisé par Aleksei Tolstoï dans sa « Famille du Vourdalak » (1841), fameuse nouvelle adaptée plusieurs fois au cinéma. Ici, la créature est un tout jeune enfant, choyé par ses parents, qui va se trouver une victime de choix en la présence d’un oncle réputé être une force de la nature. Ce dernier va perdre peu à peu sa santé, et il faudra l’intercession d’une sorcière pour qu’il parvienne à sortir de cette situation. Une histoire assez cruelle dans son approche, où la pureté de la petite enfance est dévoyée. On y retrouve des éléments habituels des récits qui convoquent ces créatures issus du folklore, comme le pouvoir de l’ail.
Le reste du recueil fait intervenir de très nombreuses entités tirées du bestiaire slave : domovoï, roussalka, vodianoï, sorcières, fantômes, etc. L’autrice paraît se confondre avec la narratrice, ce qui a pour effet d’amplifier cette intrication entre réel et imaginaire. Quelque part, en ayant en tête que Nadejda Teffi est une exilée, difficile de ne pas voir dans ce recueil la tentation d’une expatriée de recréer un monde perdu. Que les récits soient transmis au travers de souvenirs qui remontent à l’enfance ne fait que renforcer cette sensation. Cette ambiance confère une dynamique assez savoureuse à l’ensemble, où les croyances des plus âgés donnent à fantasmer aux plus jeunes. Le tout ne manque également pas d’humour et de personnages truculents, une marque de fabrique de la nouvelliste qui a fait son succès.
Les amateurs de fantastique russe, de Gogol, de Tolstoï (Alexei) et de Tourgueniev ne pourront qu’apprécier ce recueil qui permet de voir évoluer les protagonistes dans un monde où le surnaturel devient un réel tangible. Le texte transpire de cette âme russe chère à certains des auteurs précités.