Lucie Henebelle accepte la demande de sa tante : reprendre l’enquête que menait son oncle, récemment décédé. La disparition de la jeune Laëtita Charlent avait en effet amené le policier à s’intéresser à Julien Ramirez, un homme condamné par le passé pour agression et tentative de viol. Alors qu’elle pénètre illégalement sa maison avec la clé laissée par son oncle, elle tombe sur le propriétaire et abat accidentellement ce dernier. Son premier réflexe sera d’appeler Franck Sharko, son compagnon, policier comme elle au 36 quai des Orfèvres. Il va prendre les choses en main, maquiller ce qui s’est déroulé chez Ramirez tout en faisant le nécessaire pour que lui et les hommes de son équipe récupèrent l’affaire. Rapidement, les faits et gestes du mort amènent la police à s’intéresser à ses accointances avec les vampyres. Mais pour Sharko et Lucie, c’est aussi une course contre le stress, car l’un de leurs collègues a des doutes sur ce qui s’est passé chez Ramirez.
Les Vampyres auront inspiré à répétition les auteurs français de romans policiers. Dès Cold Gotha (2007), Guillaume Lebeau jouait avec la thématique, mais c’est Maxime Chattam (2009), qui va le premier convoquer la sous-culture au sein d’un thriller. Franck Thilliez n’est donc pas le premier à s’intéresser à cette mouvance au croisement des gangs américains et du gothique, dont les membres intègrent la figure du vampire à leur mode de vie : crocs, structuration clanique — emprunt à Vampire : la Mascarade et au cinéma de l’après-Blade —, sans oublier la fascination pour le sang. Les liens entre des personnalités criminelles comme Rod Farrel, la disparition de la journaliste Susan Walsh et la place du sang dans l’imaginaire des vampyres — Le y est là pour marquer la différence avec la créature de fiction — fascinent les auteurs du genre, qui y voient un réservoir à leurs intrigues policières particulièrement sombres.
Je suis en général beaucoup plus friand de romans policiers historiques, ou dont l’écriture remonte jusqu’aux années 1960. La vague actuelle me fait un effet similaire à ce que des réseaux comme Netflix sont capables de produire : des récits menés à cent à l’heure, où sexe et violence sont en première ligne, et où rien ne permet vraiment de se reposer avant le point final. Pour moi, il manque à nombre de ces récits des moments d’accalmie, et le temps de poser les choses. Ici, tout démarre trop vite, la trame bouscule le lecteur et le fait basculer de Charybe en Scylla sans ménagement, chaque nouvelle étape se faisant plus chargée dans l’horreur. C’est certes particulièrement bien pensé et d’une efficacité sans faille, mais je regrette l’époque de ses polars à détective où tout ne tournait pas autour de la psychologie tortueuse de l’instigateur du crime.
Sharko fait partie du cycle romanesque que Thilliez construit depuis plusieurs années maintenant autour du personnage éponyme. Un flic quelque peu redescendu dans la hiérarchie, et dont l’efficacité n’a d’égal que les nombreuses casseroles qu’il traîne derrière lui. Sharko est quelqu’un de malmené par la vie, qui a sa propre philosophie et évolue parfois en marge de la légalité, voire de l’autre côté de cette dernière. Le livre porte son nom, car si Lucie est la personne par qui tout arrivera, c’est bien Sharko qui prend les rênes sitôt qu’il met les pieds sur les lieux du meurtre (certes accidentel) de Ramirez. Décidé à protéger sa famille et sa compagne, il va maquiller au mieux le crime. L’histoire montre donc deux enquêtes parallèles, menées par l’équipe à laquelle appartiennent Lucie et Sharko : celle qui s’intéresse à la mort de Ramirez, puis celle qui va se pencher sur les méfaits de ce dernier, laquelle va rapidement prendre le dessus.
Concernant la présence des vampyres, nul doute que Frank Thilliez a vu le Vampyres de Laurent Courau, tant nombre des noms cités y font directement référence. Ice Pick est en effet un des intervenants du documentaire de 2009, quant à Sabretooth, c’est le clan de Father Sebastiaan, bien connu poseur de crocs — ou fangsmith — et figure du mouvement. Par la voix d’un de ses personnages, l’auteur va hiérarchiser en différentes strates à ceux qu’il rassemble sous la bannière des buveurs de sang. Les vampyres sont présentés comme la strate la plus basique : ils ne sont pas dépendants au sang. Viennent ensuite les fétichistes sanguins, au rang desquels il range Peter Kürten. Enfin, les addicts du sang, auxquels l’enquête va s’intéresser. Le récit n’en oublie pas de convoquer la figure historique de Vlad Tepes, la porphyrie — et donc les aspects médicaux qui pourraient être à l’origine du mythe. Thilliez donne ce faisant un vernis cartésien à la figure du vampire, ce qui est cohérent avec son utilisation dans un genre littéraire habitué autant à explorer la marge entre réel et horreur — le thriller — tout en gardant un pied dans le concret.
Avec Sharko, Franck Thilliez explore le monde des vampyres sous l’angle du crime, comme l’essentiel des romanciers qui se sont intéressés au sujet avant lui. Le récit est mené au cordeau, et ne laissera pas tranquille le lecteur avant que ce dernier n’en ait atteint la fin. Si je ne suis pas un aficionados de ce type de roman policier, difficile de nier son efficacité. Pour autant, je regrette quelque peu que la subculture des vampyres soient toujours abordée de la même manière.