Un Bela Lugosi vieillissant, marié à une femme déçue d’avoir épousé un acteur sans le sou, fait la connaissance de Danny Sheffield, un jeune homme qui se présente comme son plus grand fan. Rongé par une sciatique qui l’a fait peu à peu tomber dans l’addiction à la morphine, l’interprète de Dracula commence à se livrer à son invité, avide d’en savoir plus sur son idole. Mais la douleur le pousse à faire appel à Lilian, son ex-femme, qui se soucie toujours de lui. Alors que l’acteur se repose, c’est elle qui reprend le fil de la narration et va répondre aux questions de son jeune interlocuteur.
Philippe Thirault est à la fois romancier (son premier livre, Hémoglobine Blues, est sorti en 1998) et scénariste de bande dessinée (on lui doit des séries comme Miss (avec Marc Riou et Mark Vigourou), Milles Visages (avec Marc Malès). Les biographies de personnages ayant vécu jalonnent sa bibliographie, de Rimbaud (2016) à Verlaine (2020) en passant par Albert 1er de Monaco (2018). La figure du vampire n’est pas une nouveauté pour lui, car on trouvait son nom parmi les auteurs ayant travaillé sur Sable Noir — Vampyres, pour le récit « Dans la Peau », dessiné par Guillem March. L’illustratrice, Marion Mousse, a quant à elle fait ses premières armes sur des adaptations de textes classiques en BD : Fracasse (2004-2005, scénario de Marie Galopin), Moonfleet (2004, scénario de Igor Szalewa), Frankenstein (2007, scénario de Marie Galopin) et plus près de nous L’Écume des Jours (2012 co-scénarisé par Jean-David Morvan et Frédérique Voulyzé). Thirault et Mousse collaborent ici pour une biographie consacrée à Bela Lugosi, le mythique acteur qui incarnait Dracula dans le film de Tod Browning (1931). À noter qu’une biographie en BD assez récente est sortie en 2021 : Bela Lugosi, ascension et chute d’un monstre de cinéma de Koren Shadmi (traduit chez La boîte à Bulles).
Les auteurs choisissent de faire de Danny Sheffield (basé sur le personnage de Richard Sheffield, qui a connu l’acteur de son vivant et à co-écrit plusieurs livres autour de sa carrière) leur point d’entrée dans la vie de Lugosi. Le protagoniste agit comme un passeur : c’est lui, qui par ses échanges avec Lugosi et avec son ex-femme sert d’intermédiaire entre le monde du cinéma et le lecteur. La mise en place et l’histoire sont plutôt bien amenées, proposant de retracer les temps marquants du parcours de l’acteur, depuis ses débuts sur les planches jusqu’à ses dernières années. On est dans un cadre moins fantasmagorique que le récent album de Koren Shadmi, qui imaginait l’interprète de Dracula dialogue avec son moi plus jeune. Malgré les liens forts entre Lugosi et le fantastique, c’est donc une approche ancrée dans le réel, où l’on suit son ascension en Hongrie jusqu’à son engagement syndical, qui le pousse à quitter le pays. Le lecteur découvre au fil du récit les contradictions d’un homme happé par le succès incroyable de son premier rôle sur grand écran, et qui est avide d’une reconnaissance en tant qu’acteur. Une ambition qui le cantonne progressivement à de petits rôles, marque d’une déchéance de laquelle il ne semblera jamais vraiment sortir.
Graphiquement, le noir et blanc employé par Marion Mousse colle à merveille à l’ambiance des débuts du cinéma. Beaucoup de jeu sur les ombres (les cases qui s’attellent à reprendre des scènes des films comme Dracula sont très réussies), et un bon sens du cadrage contribuent ainsi à cet album plutôt réussi dans son ensemble. L’ensemble propose néanmoins quelques touches de couleur, notamment le rouge quand Lugosi incarne Dracula.
L’ouvrage montre bien comment Lugosi s’est fait vampiriser par le personnage de Dracula, qui lui vaut de basculer du statut d’acteur hongrois incapable d’aligner deux mots d’anglais au rang d’interprète majeur de Broadway, puis du grand écran. C’est aussi son accent qui lui vaudra d’être remarqué dans le rôle, couplé à son jeu très théâtral qui colle bien au comte vampire. La couverture met d’ailleurs bien en scène la théâtralité du personnage, qui passe beaucoup dans les jeux de regard.
Une biographie assez complète et graphiquement réussie de Bela Lugosi. Je dois avouer avoir préféré celle de Koren Shadmi, peut-être plus audacieuse dans son approche, mais le travail de Philippe Thirault et Marion Mousse est de bonne facture. J’aurais juste apprécié connaître la bibliographie des ouvrages dans lesquels ils ont puisé pour faire leur choix dans la vie de l’acteur.