Près de trois cents ans se sont écoulés depuis que Louis XIV a transmuté en Roy des Ténèbres. La Magna Vampyria s’est étendue à toute l’Europe, voire au-delà. La haute aristocratie et les vampires se confondent désormais, affermissant leur domination au-dessus de la petite noblesse et des roturiers. Si La Fronde gronde, les tentatives menées par celle-ci pour renverser l’ordre établi ont jusque-là échoué. Quand l’Inquisition se présente à la porte de sa famille, Jeanne Froidelac découvre que ses parents font partie des conspirateurs. Devenue orpheline, elle se retrouve Pupille du Roy, et intègre l’école de la Grande Écurie. Serait-ce là l’occasion de venger la mort des siens ?
J’avais découvert Victor Dixen avec sa première série publiée, Le Cas Jack Spark, qui convoquait à sa manière quelques thèmes vampiriques. L’auteur a depuis fait son chemin, et remporté plusieurs prix, dont le Grand Prix de l’Imaginaire (pour Le Cas Jack Spark, tome 1 et pour Animale, tome 1), le prix Imaginale des collégiens (pour Phobos, tome 1) et celui des lycéens (pour Cogito). Son œuvre se destine principalement à une cible young adult, ce qui est à nouveau le cas pour La Cour des Ténèbres, premier volet d’une série intitulée Vampyria.
Si les éléments de contexte qui ouvrent le livre donnent d’emblée quelques pistes, le premier chapitre établit d’emblée qu’on est en présence d’une uchronie. Au moment de mourir, Louis XIV est parvenu, par un rituel alchimique, à devenir immortel. Si sa transmutation lui vaut de devoir dissimuler son visage derrière un masque d’or, il n’en a pas moins étendu sa domination sur un très large territoire. Le temps semble s’être ainsi figé au tout début du XVIIIe siècle : l’aristocratie est plus que jamais en place. Les plus puissants sont désormais des vampires, tandis que la noblesse de province subsiste pour maintenir l’ordre… et veiller que les roturiers – et leur précieux sang – soient mis à contribution chaque mois.
Victor Dixen connaît son public et les codes des œuvres phares de ce dernier. De fait, si l’histoire démarre dans une petite bourgade, elle se déplace bien rapidement dans un établissement scolaire attenant à la cour du Roy. L’héroïne va y remplir son rôle d’outsider, après s’être fait passer pour la fille d’un baron. Elle se retrouve propulsée sur le devant de la scène, et va devoir autant apprendre les usages de la Cour que trouver sa voie. Si l’approche uchronique – et le lien avec l’histoire de France – rappelle le Sang Maudit de Ange, les deux récits se différencient dans leur manière d’aborder la question du point de divergence. Chez Ange, la marche du monde ne s’est pas arrêtée, même si les vampires ont pris le dessus. Chez Victor Dixen, il en va tout autrement.
Le contexte ne manque pas d’intérêt, et Victor Dixen propulse son héroïne au cœur des rouages de ce dernier. Pourtant, sur le plan psychologique, je ne suis pas totalement convaincu. Si le désir de vengeance de Jeanne est compréhensible, elle répond parfois abruptement aux choix qui lui sont posés. Ce qu’illustrent parfaitement les chapitres finaux du roman, où de multiples retournements de situation se solutionnent trop facilement à mon goût. La protagoniste est de mon point de vue trop rapide à transformer ses amis en ennemis, et vice-versa. D’autres éléments, comme le personnage qui se terre dans les sous-sols de l’école, auraient pu être mieux intégrés à l’ensemble. Et il y a ce poncif de choisir un établissement scolaire comme lieu de l’intrigue.
L’existence des vampires tient dans Vampyria à un mystérieux rituel, auquel s’est livré Louis XIV au moment de sa mort. De fait, les buveurs de sang se confondent désormais avec la haute noblesse. Leur position leur facilite la tâche pour collecter le sang dont ils ont besoin pour assurer leur survie. Reste qu’ils n’en ont pas moins conscience des dangers de ne pas contrôler la population des immortels. Ce pour quoi ils ont mis en place une charte qu’ils doivent respecter (laquelle établit par exemple un numerus clausus pour la population des vampires). S’ils ne possèdent pas à proprement parler de pouvoirs, les buveurs de sang ont développé une certaine appétence pour une alchimie – en lien avec leur propre existence – qui met en exergue les pouvoirs du sang.
Le roman se présente sous la forme d’un bel objet, doté d’une couverture baroque à souhait et d’éléments immersifs (comme la carte de la Magna Vampyria). La maison d’édition et l’auteur ont mis les petits plats dans les grands pour attirer le lecteur dans ce nouvel univers. Je dois au final avouer avoir à la fois des réticences sur la psychologie de l’héroïne et l’approche uchronique, qui imagine la France maintenue dans l’obscurantisme (aucune évolution technologique n’a eu lieu depuis la transmutation du roi). J’attends de voir si ce parti pris trouvera une explication par la suite, et comment l’auteur fera progresser son personnage.