Orphelin, le jeune Kundan a été adopté en Inde par sir Olivier et sa femme. 9 ans plus tard, il arrive à Londres, porteur d’une lettre de recommandation rédigée par son père adoptif. Une manœuvre habile lui permet de rencontrer Arthur David Benedict, qui dirige la brigade de nuit de Scotland Yard. Rapidement, il parvient ainsi à se faire incorporer, alors qu’une nouvelle menace s’attaque à ceux qui errent la nuit dans les rues de Londres. Une menace que l’opinion publique, qui n’a pas oublié les méfaits de Jack l’Éventreur, décrit tantôt comme celles d’une sorcière, tantôt comme celle du roi des rats. De fait, ce qu’ignorait sir Olivier en adoptant Kundan, c’est que ce dernier dissimule un sombre secret.
L’ère victorienne est indissociable du vampire littéraire. À la charnière du XXe siècle, c’est une époque où le faste des beaux quartiers de Londres contraste avec la pauvreté et les dangers des quartiers mal famés de la ville. C’est aussi un moment important pour l’Empire britannique, des frictions dans certaines des colonies commençant à se faire ressentir. Quelle meilleure période pour proposer un roman (Dracula), ou le personnage-titre, issu d’une contrée perdue au centre de l’Europe, loin de toute civilisation, s’installer au cœur même de la modernité ? Les auteurs de Kundan optent donc pour cette période, mais ne sont pas pour autant lancés dans une traduction du livre de Bram Stoker. Il s’agit ici de s’intéresser à une créature venue des profondeurs du folklore indien, adopté par un Lord anglais, et finalement envoyé à Londres lui trouver une place dans la société. Bien évidemment, on pourrait penser au These Savages Shores de Ram V et Summit Kumar, mais le duo semble s’engager sur une voie quelque peu différente.
Ce premier tome nous introduit le personnage de Kundan, dont s’impose d’emblée la duplicité. S’il aborde son futur employeur avec une lettre de recommandation, c’est après avoir manœuvré en amont pour forcer leur rencontre. Il risque également d’être difficile pour lui, en tant que nouveau membre de Scotland Yard, d’enquêter sur les méfaits du tueur qui sévit depuis quelques semaines. Car la créature qui laisse ses victimes exsangues, c’est bien lui. Kundan est un manipulateur, un être qui ne paraît mû que par ses seules envies, même s’il sait aussi faire preuve de discrétion. « Le ver est dans le fruit », comme semble nous souffler la rencontre entre Kundan et Sir Olivier. Car c’est bien cette idée de corruption (d’autant qu’il intègre les forces de police) qui paraît le mieux décrire le personnage.
Visuellement, Kundan nous permet de retrouver Emmanuel Civielo. J’avais découvert le dessinateur dans les années 1990, avec ses séries La Pierre de Folie et Korrigans (scénarisé par Thomas Mosdi). J’aimais bien les ambiances de ces albums, mais le graphisme très figé de Civiello, en couleur directe, m’a longtemps laissé de marbre. Je retrouve ici le dessinateur de nombreuses années plus tard, alors qu’il se penche sur ma créature fétiche. Si les premières planches m’ont un peu fait peur, j’avoue avoir plutôt accroché à la proposition de cet opus, qui nous donne à explorer les bas-fonds de Londres. Les ambiances bleutées, rehaussées par la lueur des torches, et nimbées du fog, sont très accrocheuses. L’illustrateur parvient malgré son style à insuffler du mouvement à ses personnages et scènes, tout en jouant sur les cadrages. Et le fil rouge autour de l’entité qui paraît avoir pris pour cible les Londoniens noctambules est graphiquement très réussi.
D’emblée, le lecteur sait que Kundan est une créature vampirique, associé au culte de la déesse Durga. Il ne s’agit donc pas du vampire au sens occidental, mais bien d’un monstre ayant ses racines dans le folklore hindou. De lui, on voit rapidement qu’il se nourrit du sang de ses victimes, et dispose de certains pouvoirs. Notamment la suggestion et la capacité de se transformer. On ne lui connaît pas de faiblesses, sinon que les animaux perçoivent sa nature. Il semble enfin avoir besoin qu’on l’invite à rentrer quelque part.
Un premier tome qui inaugure une série vampirique assez prometteuse, qui puise dans la matière fantastique victorienne en tentant d’y insuffler un peu de nouveauté.