Cela fait près de deux cents ans que Myriam a transformé John en une créature humanoïde capable de survivre éternellement, pour peu qu’il se nourrisse régulièrement de sang et tombe chaque jour dans un Sommeil réparateur. Pourtant, alors qu’elle a presque oublié la menace qui pèse sur ceux à qui elle offre le cadeau de longue vie, John commence à en montrer les signes. Elle sait que dans peu de temps, le Sommeil ne sera plus qu’un souvenir pour lui, et que le besoin de sang deviendra inextinguible. Si elle a déjà prévu une nouvelle compagne, en la personne de la jeune Alice, Myriam veut aussi comprendre ce qui arrive à ses enfants. Le Dr Sarah Roberts, une spécialiste du vieillissement à l’aube de découvertes sans précédent pourrait bien lui apporter la solution attendue. Mais très vite, John devient incontrôlable et les plans de Myriam sont réduits à néant. Sarah serait-elle son unique espoir ?
The Hunger (dans son titre original) est un des romans importants pour qui s’intéresse à la figure du vampire. Quatre ans après l’Entretien avec un Vampire d’Anne Rice, et à l’instar d’autres auteurs comme SuzyMcKee Charnas et S.P. Somtow, Whitley Strieber apporte un souffle de modernité à Dracula et ses pairs. D’emblée, dans ce premier opus (la série complète en comptera au final trois), la trame débute à l’ère contemporaine, et se focalise sur les vampires. On sort donc de l’incontournable époque victorienne tout en offrant au lecteur le point de vue du vampire. Quelque part, la présence des autres personnages ne se justifie que dans leurs relations à Myriam, et à l’intérêt qu’elle a pour eux. John, Alice, Sarah et ses anciens compagnons symbolisent son besoin irrépressible de vaincre la solitude, même si cette victoire semble de plus en plus brève. On ne peut, à ce titre, que remarquer l’indifférence de l’immortelle pour le sexe de ses compagnons. Si le sexe de Sarah permet de rapprocher leur relation à celle de Laura et de Carmilla, Myriam est totalement bisexuelle, confessant elle-même, par le biais de ses pensées, alterner le genre de ceux à qui elle décide de conférer la longévité. Notons, enfin, que le choix des périodes du passé de Myriam qu’elle revit durant son Sommeil montrent de manière récurrente que l’Homme est parfois autant sinon davantage cruel que ceux de sa race. De par tous ces aspects, elle a donc une conception du temps qui passe (elle se remémore de manière extrêmement réaliste des épisodes de son passé, en rêve) et du cycle de la vie totalement différente de celui des êtres humains.
L’un des autres points forts du récit, c’est aussi son approche médicale du vampire. Myriam s’intéresse aux travaux de chercheurs spécialisés dans l’étude du vieillissement et du sommeil, car elle a conscience que de là peut venir une solution à la malédiction qui touche ses compagnons. Lorsqu’elle se soumet aux examens du centre Riverside, se faisant dans en premier temps passer pour une victime de troubles du sommeil, elle subira toute une batterie de tests. Lesquels achèveront de la voir considérer, par les médecins comme par le lecteur, comme une créature humanoïde qui n’a rien d’humain. Quelques années avant les premières annonces sur le SIDA, Strieber anticipe les dangers du sang à l’ère moderne. Comment ne pas y penser quand on assiste à la dégénérescence de John, et que l’on comprend que les êtres humains sur qui Myriam jette son dévolu sont condamnés, à une échéance variable ?
Les vampires ne sont jamais désignés comme tels dans le roman de Whitley Strieber. Pour autant, leur longévité, leur besoin de boire du sang à intervalle régulier, et leur plongée dans un sommeil cataleptique rattachent d’emblée Myriam et ses enfants à la figure du vampire. Si Myriam dispose d’une langue lui permettant facilement de se nourrir, ses compagnons, créés à partir de son sang, doivent utiliser des objets tranchants pour faire couler le sang. Passée au crible des appareillages médicaux modernes, la fille de Lamia révélera que si elle possèdent de nombreuses caractéristiques communes avec l’humanité, c’est sans doute que son espèce dérive à un moment du même ancêtre. Elle comme ses compagnons disposent de quelques pouvoirs, comme celle de se mouvoir à grande vitesse, avec une force décuplée, où de faire appel à la télépathie. Mais s’ils ont pu être considérés à certaines époques comme des créatures diaboliques (durant un passage Myriam mentionnera quelques noms des familles des siens, parmi lesquelles Ranftius – hommage à l’auteur de la De masticatione mortuorum in tumulis ?), ils n’ont donc rien de vraiment surnaturel. Myriam possède également quelques caractéristiques en propre, comme un charisme à toute épreuve.
Un des premiers romans qui propose une exploration médicale appuyée du vampire. Tout en parsemant son récit de quelques références pour les connaisseurs, Strieber imagine ainsi des créatures plus en phase avec l’ère contemporaine. Si l’on peut reprocher au style de manquer de panache, le fond du roman en fait un des jalons incontournables du genre.