Dans un théâtre d’ombres et d’images, Dracula côtoie les fantômes qui hantent notre imaginaire, de nouvelles figures au croisement de la bande dessinée, de la littérature et du cinéma d’animation. Depuis sa création, la Compagnie Zapoï, explore les échanges poétiques et complexes entre le théâtre de marionnettes et les technologies de l’image. Pour ce nouveau spectacle, ils ont invité un auteur-artiste de la bande-dessinée : Hippolyte, et un musicien : Usmar. Tous ensembles, ils proposent un voyage aussi sonore que visuel au coeur de l’oeuvre de Bram Stoker.
Ca faisait un moment que j’avais entendu parler de ce projet, auquel participe Hyppolite, qui avait déjà planché sur Dracula au travers d’un somptueux diptyque à la carte à gratter. Avoir vu la bande-annonce quelques mois plus tard, et jeté une première oreille à la bande-son qu’Usmar avait prévu pour le spectacle n’avait fait qu’attiser un peu plus mon envie de voir le spectacle. Malheureusement, Zapoï étant une compagnie du Nord de la France, difficile de trouver l’occasion d’assister à une représentation. Aussi, à l’annonce d’une date pas trop loin du QG de Vampirisme.com, nous n’avons pas hésité à faire le déplacement.
Sitôt la salle baigné dans l’obscurité, Renfield émerge de l’ombre. Emprisonné dans un asile d’aliéné, l’ancien clerc de notaire délire au sujet des chats et insectes dont il apprécie le sang au plus haut point. Un plaisir qui lui a été insufflé lors d’un récent voyage en Transylvanie, dans le fief du comte Dracula. Renfield incapable de remplir son office, c’est Jonathan Harker qui va a son tour faire route vers le château du comte. Le voyage dans l’une des régions les plus isolée d’Europe commence alors pour le jeune homme, qui vient de se fiancer à Mina, avec laquelle il espère se marier en revenant.
La bande-annonce le montrait bien, la Compagnie Zapoï propose une expérience complexe, qui va bien au-delà de la pièce de théâtre. Car dès l’introduction passée, marionnettes et théâtre d’ombres s’imbriquent, proposant une mise en scène aussi rare qu’originale. Une maîtrise assez incroyable de la transition entre chaque « supports » (notamment quand la troupe mélange ombre vivante et décor en ombre chinoise, comme dans l’excellent passage de la diligence), une musique présente mais qui s’impose rapidement comme un acteur à part entière, une sorte de voix off qui fait ressortir au mieux l’ambiance de chacune des scènes.
Si dans l’ensemble la compagnie respecte le roman de Stoker, certains éléments semblent plutôt piochés dans le film de Coppola (le lien entre Mina et Dracula en tête), d’autres enfin sont des adaptations du matériau d’origine pour coller à la mise en scène et à la présence d’un acteur unique, qui campe Harker / Renfield. Les autres personnage s’effacent donc devant Harker, qui porte à lui seul toute l’intrigue, depuis son voyage en train jusqu’à son retour au château, en vue de mettre un terme à la non-vie du comte.
On est ici en face de la vision classique du mythe, adaptation du Dracula de Stoker oblige. Le comte est ainsi un mort-vivant qui ne se déplace que la nuit tombée. Il vit dans un château isolé dans les montagnes de Transylvanie, en compagnie de 3 femmes-vampires. Capable de contrôler les éléments, et de se transformer en loup, il n’en craint pas moins les symboles religieux, la lumière du soleil et la décapitation. A l’image du roman initial, où le vampire ne prend jamais la parole, on ne le voit jamais directement sous forme humaine dans la pièce.
Une pièce terriblement séduisante, portée par un jeu d’acteur et une technicité sans faille, une bande-son hypnotisante (que j’ai d’autant plus de plaisir à écouter maintenant que j’ai vu la pièce), et des décors / marionnettes dont l’utilisation n’est pas très éloignée des films d’animation de Lotte Reiniger (la finesse des décors et marionnettes est vraiment bluffante, la participation d’Hippolyte est à cet égard une vraie réussite). Seul bémol, une fin un peu difficile à comprendre, et quelques ellipses qui risquent de rendre le propos difficile d’abord pour des gens qui n’auraient pas lu le roman (j’ai notamment pu entendre les chuchotements de spectateurs qui ne comprenaient pas ce qu’ils voyaient sur scène, et qui s’avéraient parfois un peu perdu lors du changement de scène). Il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’une des adaptations les plus originales et les plus immersive que j’ai eu l’occasion de voir à ce jour. La compagnie Zapoï brouille les pistes avec brio, notamment quand il s’agit de mélanger les modes d’expression scéniques. Chaudement recommandé !
Merci pour cette belle critique, très juste notamment sur les bémols.
Denis Bonnetier