Tout a commencé alors que j’étais au chômage et que je faisais des piges, installée dans une chaîne de cafés bien connue. Déconcentrée par une conversation animée, je ne peux m’empêcher de tendre l’oreille et de capter un échange entre deux danseurs posés là après une répétition :
« …tu connais Golan ? Le beau gosse là. Ouais. Et bah Kamel l’a choisi lui pour faire Dracula. Tu vois le mec il parle pas un mot de français, il a un accent, je te dis pas… et bah ils l’ont quand même pris et ils vont le rendre muet. Nan mais je te juuure. Genre c’est un parti pris artistique quoi. »
J’avais appris depuis peu le projet du sieur Kamel Ouali (chorégraphe rendu célèbre par l’émission de télé-réalité Star Academy) d’adapter en comédie musicale le roman de Bram Stoker. Maintenant, j’en savais officieusement plus sur le casting du rôle principal.
Atterrée par les deux nouvelles, j’ai commencé à m’épancher sur les réseaux sociaux. C’est là que Vladkergan, – à son regret, j’en suis persuadée – m’a délégué la tâche de faire un article sur le show. Je me suis d’abord dit : on a le temps, c’est en septembre, il va oublier d’ici là. Et puis en octobre, quand je ne l’attendais plus, le destin est venu frapper à ma porte sous forme d’invitations gratuites. Je ne pouvais plus refuser. Je ne pouvais plus reculer. Voici donc ma critique de Dracula : l’amour plus fort que la mort, comédie musicale de Kamel Ouali qui se joue en ce moment au Palais des sports de Paris et ce jusqu’en janvier 2012.
Sur la scène, avec le spectacle, un écran représentant une rose kitschouille d’où s’échappe une goutte de sang. L’amour, la mort. Vous l’aurez compris. La jeune fille qui nous place nous donne des lunettes 3D « pour la 2ème partie ». Cela va durer 2h30. Je me dis que c’est un peu long, même pour une œuvre aussi imposante. La salle est pleine, mais c’est une soirée privatisée par un grand groupe de téléphonie, cela ne veut donc rien dire. 21h32, deux minutes de retard, des créatures jaillissent alors dans les travées et poussent de grands cris dans un roumain approximatif. Petite astuce pour pousser les spectateurs à rejoindre leurs places. S’en suit une séance d’intro plutôt réussie dans un jeu de théâtre d’ombres rappelant le Dracula de Coppola (1992), d’ailleurs l’histoire calque à peu près cette version (fidèle historiquement à la vie du Prince de Valachie, notamment la partie concernant le suicide de sa femme après l’annonce erronée de la mort de son époux).
Dès les premières chansons on se rend compte que l’on est dans le hors sujet. Au-delà du talent des artistes ou de la réussite de la mise en scène, la campagne d’affichage montre le visage de l’acteur du rôle titre, Dracula, donc, mais lorsqu’il entre sur scène, sa présence paraît anecdotique tant le choix de le rendre muet le rend oubliable. Autre facteur confortant cette tendance : le foisonnement sur scène. Les costumes, des dizaines de danseurs par tableaux, des contorsionnistes, des culturistes, des équilibristes… « trop » est le meilleur qualificatif. On ne sait pas où regarder. Souvent le chanteur est étouffé par la masse et cela devient clairement un handicap lors des nombreux allers/retours entre la Transylvanie et Londres. D’ailleurs si toute la première partie du spectacle n’ôte rien de l’œuvre originale, elle en rajoute à la pelle (notamment pour donner une « voix » à ce comte muet, pas moins de 3 personnages se succèdent incarnant tour à tour sa conscience, ses envies, ses rêves…).
Question influence on reconnaît clairement du Disney partout, les méchants sont inspirés des stéréotypes des films de la marque, un exemple parmi d’autres :
L’ambiance visuelle est plus digne de Burton, quant à la musique de l’entracte c’est carrément un copier/coller de la B.O d’Edward aux mains d’argent. Enfin, troisième source d’inspiration qui saute aux yeux : celle du Rocky Horror picture show dont au moins deux tableaux de Dracula sont des hommages tellement la scène est remplie de « gentils travestis qui viennent de Transsexuel, Transylvanie ».
Par ailleurs, je suis à mes heures perdues assez passionnées de Broadway, et j’ai conscience qu’allier comédie, chant & danse est le défi de toute comédie musicale. Ici, l’accent est mis sur la danse à un point éclipsant presque les deux autres arts. Si les paroles des chansons sont à jeter (ils n’ont que rajouter des conjonctions et des adjectifs à « sang », « vie », « mort/mord », « amour ») la musique, elle, passe de l’électro au classique en passant par le folklorique et le rock. Là encore ça part dans tous les sens et l’on aimerait voir quelque chose de plus resserré, plus abouti, en un mot : plus affûté. La comédie est atterrante, elle remplit le rôle qu’elle ne devrait pas remplir : expliquer ce que les paroles n’expliquent pas, conter l’histoire à la place des chanteurs qui, de toute façon, n’articulent pas assez (alors qu’ils ont un micro et de l’auto-tune pour les soutenir). Les ressorts comiques sont lourds et mal amenés, mal joués (le rôle de la rigolote de service est forcément pour l’actrice en surpoids…). Les acteurs se coupent la parole, ont des problèmes de placement (du corps ET de la voix). Ceci n’est pas un problème de rodage, malheureusement, le spectacle est en prolongations actuellement.
La danse, elle, est pleine de trouvailles. Magnifiquement exécutée. Un peu répétitive lors des duos entre le comte et Mina ou lors des tableaux se passant dans un lit (beaucoup beaucoup d’insistance sur la sensualité). Je me répète aussi pour dire que les tableaux de groupe auraient mérité moins de personnes en même temps sur la scène. La danse finale de l’exécution de Dracula est assez formidable (une fois sortie de son fouillis continuel, si l’on se concentre sur le personnage principal, mais il est assez mis en avant, sur une plateforme centrale, à ce moment-là pour que ce soit possible). Malheureusement ce garçon dont Kamel Ouali dit qu’il est aussi comédien ne parvient à surnager que lorsque les projecteurs ne sont braqués que sur lui, ce qui arrive peu souvent.
Et les lunettes 3D me direz vous ? Et bien elles servent pendant 5 à 10 minutes, au milieu du spectacle, pendant une séquence hallucinatoire décrivant la morsure de Mina (on assiste à la transformation de Dracula en panthère et de sa douce en biche). Ce moment tout droit sorti d’un Las Vegas parano bas de gamme peut plaire mais s’éloigne complètement de l’univers du livre.
Pour conclure : de bo
nnes choses encastrées dans de mauvaises choses en pagaille. Je ne pense pas que le spectacle aiguise la curiosité de son audience et l’amène à lire de la littérature vampirique, combien de fois ai-je entendu « Dracula de Kamel Ouali » sans « d’après l’œuvre de Bram Stoker » ? Je vais terminer sur une note positive en disant qu’à la fois en terme de comédies musicales qu’en terme d’adaptations de Dracula j’ai vu bien pire, néanmoins je ne vous conseillerai pas le spectacle, les places sont à un prix affolant.