Les légendes vampiriques sont loin d’être légion dans le patrimoine folklorique français. On dénombre bien quelques histoires éparses, mais bien peu sont assez détaillées pour envisager une enquête les concernant.
Le cas de la comtesse de Deux-Forts est un des rares qui soit véritablement localisé, et pour lequel plusieurs lieux (ou plutôt lieux-dits) sont cités, des lieux qui marquent les différentes étapes de l’histoire.
La légende de la comtesse possède en outre de nombreuses similarités avec l’histoire de la comtesse Bathory. Il s’agit en fait d’une histoire remontant a priori au XIIe siècle, qui fait état des exactions d’une comtesse des environs de Ménat (63) qui aurait été accusée de s’être baignée dans le sang de ses victimes en vue de conserver à jamais sa jeunesse éternelle. Elle avait en effet pris l’habitude de s’immerger dans des cuviers situés sur ses terres, et de se faire asperger de sang, pour l’obtention duquel elle faisait enlever et assassiner des enfants. Alertés, le comte d’Auvergne et l’évêque de Clermont traduisirent le comtesse en justice. Elle fut écartelée en un lieu encore aujourd’hui appelé La justice, et fut ensuite trainée à travers la vallée, jusqu’en un lieu appelé Malemort, un des gibets locaux.
J’avais pris connaissance de cette légende sur un forum (et ensuite à travers le Guide Noir Auvergne des éditions Tchou, guère détaillé), et avais fini par mettre la main sur un livre, écrit par une ancienne conseillère municipale (aujourd’hui décédée), qui recense les différentes légendes de la vallée de Ménat, dont celle-ci : Histoire et légendes de la vallée de Ménat, de Jacqueline Pinel.
Première étape de notre périple sur les pas de cette comtesse sanglante french touch : la localisation des fameux cuviers. Ce qui tombe bien, étant donné qu’un parcours de randonnée autour de la légende a été finalisé il y a peu. Après quelques difficultés à trouver un parcours imprimé, on nous explique qu’il suffit de prendre la direction d’une usine de schiste désaffectée, non loin de là, le début du parcours étant dans les environs de celle-ci. Il nous faudra cependant faire quelques allers et retours sur la route qui longe l’usine avant de tomber sur ce qui nous intéresse : un panneau de signalisation, orné d’un losange rouge, sur lequel est simplement écrit «Les cuviers».
Le parcours longe pendant une bonne centaine de mètres les vestige de l’usine de schiste de La Faye, lieu incontournable de l’histoire économique et industrielle locale, construite en 1862 et arrêtée en 1964. Si l’endroit est donc nettement plus récent que la légende qui nous intéresse, on éprouve malgré tout une certaine frustration à ne pouvoir visiter les lieux, fermés au public. Les vitres brisées et les bâtiments en ruine que nous longeons nous offrent cependant une certaine mise en bouche de l’ambiance qui règne encore dans ces vestiges de l’ère industrielle. Un lieu qui ferait le bonheur des photographes amateurs de friches et autres bâtiments désaffectés. Nul doute que la comtesse aurait apprécié à leur juste valeur les cheminées et fours qui subsistent encore sur place, parfaits pour faire disparaître toute trace de ses crimes.
L’usine de La Faye derrière nous, c’est dans la forêt profonde que nous nous engageons cette fois-ci. Un bois aussi dense que sombre, où les arbres semblent déplier leurs branches pour en interdire l’accès. Pour empêcher le quidam de découvrir ce qui s’est produit dans ces lieux ou pour en conserver intacte la faune et la flore ? Certaines dispositions de branchage ont tôt fait de nous faire penser à des symboles magiques, à l’image des grigri disséminés par la sorcière de Blair dans un fameux long-métrage (ou documentaire ?) filmé caméra à l’épaule.
Bravant la menace végétale, nous nous enfonçons un peu plus dans le bois. Bientôt, nos pas nous rapprochent de la Sioule, la rivière où la comtesse se baignait et qui traverse toute la vallée. Quelques minutes plus tard, un pont de bois semble nous inviter à traverser et à passer de l’autre côté, la rivière se séparant en deux. Mais s’agit-il simplement de traverser le cours de la rivière ? N’y a t-il pas comme l’idée de pénétrer ainsi dans le cour de la légende ? N’écoutant que notre désir de découvrir la vérité, nous traversons. Le pont n’est sans doute pas d’époque, et a sans doute été ajouté pour faciliter la marche des randonneurs, mais le craquement caractéristique qu’il produit sous nos pas a tout de même quelque chose d’inquiétant.
Au détour d’une circonvolution de la rivière, le premier cuvier nous apparaît enfin. Il s’agit aussi de ce qu’on nomme communément marmite de géant : un orifice creusé dans le lit de la rivière qui marque la pierre d’une forme ovoïde, dans laquelle un être humain pourrait tout à fait s’allonger pour se baigner. Notre œil est rapidement attiré par un détail étrange : au fond de l’eau, des tâches rouges marbrent la pierre. Des tâches qui semblent être circonscrites aux cuviers. Hasard de la nature, en hommage à la légende ?
Les deux cuviers suivants jouxtent le premier, tous trois se succédant au gré de l’eau. Trois formes différentes qui semblent avoir plus de profondeur que ce que la rivière à montré jusque-là, et dont la construction quasi parfaite a quelque chose de surnaturel. Par hasard, mes lunettes de soleil tombent au cœur de l’un des cercles de pierre. Une facétie de l’esprit de la comtesse, attirée par cet accessoire esthétique d’un âge plus récent que le sien ? Déterminé, je plonge ma main dans le bouillon d’écume, et finit par en ressortir le dit accessoire. Les légendes ne semblent plus aussi vivaces que par le passé.
Le parcours ne s’arrêtant pas aux seuls cuviers, nous continuons notre marche, mais sommes rapidement arrêtés par une barrière, à la sortie de la forêt. On apprendra quelques heures plus tard que le propriétaire du champ où devait passer le parcours n’a pas vu tout cela d’un très bon œil, et a décidé de couper court. Résidu de superstition ? C’est cependant en discutant avec une personne de la Maison de pays, émanation de l’office du tourisme, que nous parvenons à localiser l’emplacement de la croix de Malemort, à partir de la photo du livre précité. Mais selon une guide locale, la croix a vraisemblablement été déplacée de son lieu d’origine, qui devait se trouver près de Chateau-Gaillard, un village des environs.
Repartis en direction de la croix de Malemort, nous finissons par localiser celle-ci, tout près d’un pont, au bord de la grand-route. Une croix métallique en trop bon état pour être contemporaine de la légende (a moins qu’elle n’ait été refaite depuis), dont le pied est marqué d’une date pour le moins récente : 1862. De quoi brouiller un peu plus les pistes, où accréditer la thèse d’une légende sans réel pied dans la réalité. Mais dans ce cas, pour quel objectif ? Errant dans les environs de Château-Gaillard, nous tombons sur un croisement qui a très bien pu être l’emplacement originel de la croix. Une croisée de chemin pour le moins importante (c’est une des caractéristiques des gibets médiévaux), à côté de laquelle une barrière en métal semble empêcher toute intrusion dans une construction totalement recouverte par la végétation.
La dernière étape de notre périple nous conduit aux sources même de la légende, dans le lieu qui porte le nom de Deux-Forts. Une endroit totalement isolé du monde où seules quelques maisons attestent d’une quelconque activité humaine. Aucune ruine, aucun mur branlant, pas de construction minée par le temps. Si en contrebas, quelques kilomètres plus bas, il subsiste les ruines d’un moulin, il n’y a donc pas de trace de ce qui aurait pu être la demeure de la comtesse de Deux-Forts, même si le nom du lieu a quelque chose de sibyllin. Lors de notre prochaine venue, un passage aux archives départementale sera nécessaire de manière à trancher une fois pour toute sur l’existence ou pas de cette fameuse comtesse…
Bonjour. Hasard de mes recherches sur le Lieu-Dit Chateau Gaillard, de Ménat. J’y ai passé mes vacances dans ma petite enfance, c’était la maison des ancêtres maternels. Nous promenant dans les bois avoisinants, ma grand-mère nous a raconté l’histoire de cette comtesse qui se baignait dans des bassins, dans le sang des enfants ! Petit rappel ! Merci
Martine
Bonjour,
Tout d’abord merci beaucoup pour votre post très détaillé. Je me suis passionnée pour cette légende au point d’écrire un roman à ce sujet : « Sanglantes Combrailles » aux éditions Sydney Laurent. Il vient de sortir.
Bonne journée.
Cordialement,
Sandrine Larue